Le décret du 4 juillet 1988 ne donne aucune définition du document administratif mais la jurisprudence administrative qui fait une lecture très libérale et extensive des dispositions de ce décret , considère comme documents administratifs les documents produits ou reçus dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou même par les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. . Constituent de tels documents notamment les dossiers ,rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions. Il est aussi de jurisprudence constante que le droit à communication ne s'applique qu'à des documents achevés, aussi ce droit ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration et qu’en tout etat de cause lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique , le droit à communication ne s'exerce plus .
Il faut aussi noter que la loi n° 18-07 du 10 juin 2018 relative à la protection des personnes physiques dans le traitement des données à caractère personnel permet d’une part à toute personne d’obtenir du responsable du traitement la communication sous une forme intelligible les données le concernant qui font l’objet de traitement, ainsi que toute information disponible sur l’origine de ces données , et d’autre part elle institue une autorité nationale indépendante de protection des données à caractère personnel chargée entre autres de recevoir les réclamations, les recours et les plaintes relatifs à la mise en œuvre des traitements des données à caractère personnel et d’informer leurs auteurs des suites qui leur sont réservées.
En outre des textes particuliers imposent à certaines administrations la communication des documents administratifs en leur possession. Ainsi et en application du décret n° 76-63 du 25 mars 1976 relatif à l’institution du livre foncier, le responsable du cadastre et de la conservation foncière est tenu d’une part , de communiquer au public les renseignements contenus en ses archives et relatifs aux immeubles ( article 3) , et d’autre part de livrer à tous ceux qui le requièrent copie ou extrait des documents déposés à son bureau, extraits des fiches d’immeubles ou tout autre document cadastral ou certificats qu’il n’existe aucune des fiches dont copie ou extrait est requis (article 55).
Concernant spécialement les documents détenus par les services du cadastre et de la conservation foncière qui sont très sollicités , il arrive souvent que cette administration refuse de délivrer certains documents au motif que seuls les propriétaires y ont droit . Ce refus est illégal puisque l’article 55 du décret n° 76-63 du 25 mars 1976 consacre un droit de communication général. En application de ce décret , toute personne peut se faire délivrer par le service de la conservation foncière entre autres la copie d’un acte transcrit ou publié, l’extrait de documents transcrits ou publiés, la copie du bordereau d’inscription d’hypothèque ou de privilège ,le duplicata du livret foncier, le certificat relatif aux inscriptions ou publications actives ou passives ( le négatif ).Quant au service du cadastre , tous les documents qu’il détient qui par ailleurs ont été listés sur le site de la Direction nationale du domaine nationale sont communicables à toute personne qui le demande . Il s’agit notamment du document d'arpentage ( le CC2 / CC2 bis , le sigle CC signifiant Cadastre Communal ) , de l’état indiquant les changements survenus dans les propriétés foncières ( le CC 3 ), de l’extrait cadastral et l’extrait d'acte (le CC4 bis), de l’extrait de la matrice cadastrale (le CC11), de l’extrait de l'état de section ( le CC12), de l’extrait de l'état des changements (le CC13), du relevé des renseignements d'ordre cadastral concernant les ilots de propriété (le CC14 ) ou encore de l’extrait de plan cadastral (le CC15 et le CC16).
A l’exception des documents administratifs qui sont publiés suivant la procédure y afférente ( journal officiel , bulletin des actes administratifs ,affichage …) ou par notification à personne ( pour les décisions individuelles) , l’administré a aussi droit à communication de tout document émanant de l’administration non protégé par une restriction. Ainsi , en vertu de l’article 10 du le décret du 4 juillet 1988 : « Sous réserve des dispositions de la réglementation en vigueur en matière d’informations classées et celles protégées par le secret professionnel, les administrés peuvent accéder aux documents et informations administratives ».En vertu de ce même texte, cet accès aux documents et informations se fait soit par consultation gratuite sur place , soit par délivrance de copies aux frais du demandeur. Bien que ce décret n’a pas défini la notion de « documents et informations communicables » , il s’agit en fait des documents émanant des institutions , administrations et organismes publics que la jurisprudence a étendu aux organismes de droit privé chargés de la gestion d’un service public
Si le principe général est que tout citoyen a droit à la communication des documents détenus par les administrations publiques exception faite des documents protégés , quel est le moyen de recours que peut exercer un administré qui voit sa demande de communication d’un document administratif rejeté ? Il y a bien sûr le recours judiciaire par saisine du juge administratif généralement via la procédure d’urgence qui débouchera sur une décision sous forme d’ordonnance sur pied de requête ( ancienne procédure) ou sous forme d’ordonnance de référé ( procédure en vigueur ) qui fera injonction à l’administration concernée de délivrer le document administratif en cause. Bien que ce recours est recevable dans le cadre de la procédure administrative , il n’en demeure pas moins qu’en l’absence d’une disposition dans le décret du 4 juillet 1988 qui consacre expressément un tel recours , certaines juridictions administratives rejettent les demandes de communication de documents administratifs introduites par simple requête au motif parfois erroné que ces actes peuvent être communiqués au cours de l’instance au fond alors qu’un administré peut avoir intérêt à cette communication sans qu’il projette d’introduire une quelconque action judiciaire.
Dans certains pays , la mise en oeuvre du droit de toute personne à l’accès aux documents administratifs est assurée par une structure spéciale .C’est ainsi qu’en France par exemple c’est la Commission d’accès aux documents administratifs qui est une autorité administrative indépendante qui est chargée de veiller au respect de la liberté d’accès aux documents administratifs et aux archives publiques .Celle-ci est saisie par toute personne qui se voit refuser l’accès à un document administratif ou n’obtient pas de réponse et se prononce par un avis sur le caractère communicable ou non de ce document .
Le décret du 4 juillet 1988 a bien prévu une structure chargée d’assurer le respect du principe de la liberté d’accès aux documents administratifs puisque l’artiche 34-2 énonce : « Il est institué une structure spécialement chargée de donner suite aux requêtes des administrés » , mais cette structure n’a jamais été installée. Un décret présidentiel daté du 15 février 2020 portant le numéro 20-45 a bien institué un médiateur de la République chargé entre autres d’évaluer la qualité des rapports de l’administration avec les citoyens. Bien que le médiateur de la République peut être saisi par la personne à qui a été refusé la communication d’un document administratif , ce dernier se concentre beaucoup plus sur la résolution des litiges et l’amélioration des services publics alors que la structure prévue par l’articles 32-2 du décret du 4 juillet 1988 se concentre sur l’accès aux documents administratifs et la transparence .
En tout état de cause et même en l’absence de la structure prévue par le décret du 4 juillet 1988 qui devait être chargée de se prononcer sur les requêtes des personnes à qui l’accès à un document administratif a été refusé , il n’en demeure pas moins que ce décret instaure des obligations aux fonctionnaires des administrations en matière d’accès des administrés aux documents administratifs.
Tout d’abord le décret du 4 juillet 1988 pose un principe général selon lequel l’administration est tenu d’informer les administrés sur les règlements et mesures qu’elle édicte et a l’obligation de publier régulièrement les instructions , circulaires, notes et avis concernant ses rapports avec les administrés. Concernant particulièrement la question de l’accès aux documents administratifs , l’article 10 du décret énonce que les administrés peuvent accéder aux documents et informations administratifs soit par consultation sur place soit par délivrance de copies , et que tout refus de communication doit être notifié par décision motivée , c’est à dire que l’administration doit expliquer les raisons pour lesquelles elle a refusé de communiquer le document sollicité . Ce droit à la communtaion couvre aussi les documents déposés aux archives de l’administration concernée ou aux archives nationales.
En principe tous les documents administratifs sont communicables à l’exception des documents classés , protégés par le secret professionnel ou se rapportant à la vie privée ou à la situation d’un individu. En vertu de l’article 30 du décret du 4 juillet 1988 ,le fonctionnaire ne doit sous aucun prétexte refuser une délivrance d’un document administratif auquel l’administré a régulièrement droit , faire obstacle à leur accès , causer des retards ou des lenteurs injustifiés pour leur délivrance , ou encore exiger des pièces ou documents non prévus par la loi pour la délivrance de ces documents. La violation de ces obligations par le fonctionnaire concerné entraime à l’égard de ce dernier des sanctions disciplinaires qui peuvent aller jusqu’au licenciement en cas de récidive. Bien plus , le fonctionnaire peut voir sa responsabilité civile et même pénale engagée s’il refuse délibérément de délivrer ou de communiquer à la personne qui le demande une information ou un document administratif et ce en application de l’article 40 dudit décret qui dispose : « Sans préjudice des sanctions civiles et pénales auxquelles ils s’exposent du fait de leurs fautes personnelles ,les fonctionnaires encourent des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement dans le cas d’entrave aux mesures dans le cadre de l’amélioration des rapports entre l’administration et les administrés ».
Ceci étant , il n’en reste pas moins que très souvent des citoyens se plaignent des lenteurs injustifiées dans le traitement de leurs demandes de communication de tel ou tel document administratif. Dans ce cas et en l’absence d’une structure administrative chargée de donner suite aux requêtes des administrés dont les demandes de communication ou de délivrance d’un document administratif ont été rejetées ou non traitées par l’administration concernée , seul un recours devant une juridiction administrative est à envisager. Le décret du 4 juillet 1988 a succinctement aménagé des moyens de recours au cas où l’administration ne répond pas à la demande de communication ou de délivrance d’une information ou d’un document administratif. Tout d’abord , en vertu de l’article 39 de ce décret , l’administré qui se voit refuser sa demande de communication peut introduire un recours gracieux c’est à dire saisir l’administration qui a émis ce refus pour lui demander de revoir sa décision et de donner suite à sa demande. Rien n’empêche aussi cet administré d’introduire un recours hiérarchique c’est-à-dire saisir l’autorité supérieure de celle qui a refusé de communiquer le document sollicité. En outre le même article dispose que l’administré peut directement utiliser toutes les voies de droit contre la décision de refus y compris pour une éventuelle réparation du préjudice subi.
Le recours à l’article 39 du décret du 4 juillet 1988 n’est pas aussi aisé qu’il n’y parait puisque il faudrait dès lors saisir le juge compétent à l’effet d’obliger l’administration concernée à communiquer ou à délivrer l’information ou le document en cause. En pratique il faudrait envisager deux situations : celle où l’administration notifie par écrit à l’administré son refus de délivrer le document sollicité , et celle où elle garde le silence et ne répond pas à la demande de l’administré .Dans le premier cas le refus émanant de l’administration prend la forme d’une correspondance datée et signée par le responsable de l’administration concernée et exposant les motifs de ce refus. Dans le second cas , le refus prend la forme d’une décision tacite de refus quand un certain délai s’est écoulé depuis la réception de la demande de communication par l’administration. Ce délai est fixé à deux mois par l’article 830 du code de procédure civile et administrative.
Dans la première hypothèse où la décision écrite de refus de communiquer un document a été notifiée à l’administré , ce dernier peut saisir le tribunal administratif par une action en annulation de ce refus assortie d’une demande d’injonction de communication et éventuellement accompagnée d'une demande de réparation du préjudice. Ce recours doit être introduit dans le délai de deux mois qui court à partir de la date de notification de la décision de refus sous peine d’irrecevabilité de ce recours. Dans la seconde hypothèse où l’administration n’a pas daigné répondre à la demande de délivrance d’un document , ce qui il faut le rappeler constitue une faute grave susceptible de sanctions disciplinaires et même pénales à l’encontre du fonctionnaire concerné ,il faudrait d’abord attendre qu’un délai de deux mois se soit écoulé depuis le dépôt de la demande ou son envoi par voie d’huissier ou par lettre recommandé avec accusé de réception , et une fois ce délai expiré saisir le tribunal administratif dans un délai de deux mois qui court après l’expiration du premier de délai de deux mois le tout en application de l’article 830 du code de procédure civile et administrative.
Cette procédure est incontestablement très lourde et prend beaucoup de temps à fortiori si un appel est exercé contre le jugement rendu .Il existe par ailleurs une procédure qui permet au juge administratif d’ordonner la communication ou la délivrance d’un document administratif dans un délai beaucoup plus court. Pour ce faire il faudrait saisir le juge des référés par la voie du « référé – mesures utiles » que l’on appelle aussi « référé-communication » prévu par l’article 921-1 du code de procédure civile et administrative qui dispose : « En cas d’extrême urgence, même en l’absence d’un acte administratif préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucun acte administratif ».Ce texte permet au juge des référés du tribunal administratif d’ordonner toute mesure notamment, ordonner la communication de décisions administratives ou de documents administratifs .Cette procédure accélérée qui autorise la saisine du juge des référés est soumise à une triple condition : la mesure sollicitée c’est à dire dans le cas d’espèce la communication d’un document administratif doit être justifiée par l’extrême urgence , qu’elle soit utile et enfin ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Dans ce genre de référé , la tenue d’une audience publique est facultative puisque seuls les cas visés aux articles 919 et 920 du code de procédure civile et administrative obligent le juge des référés à compléter l’instruction écrite par la tenue d’une audience publique et ce en application de l’’article 929 du même code.
En matière de référé tendant à la communication d’un document administratif , l’extrême urgence sera caractérisée si la communication de ce document est nécessaire à la sauvegarde des droits du demandeur .il en est ainsi si ce document est nécessaire pour introduire un recours avant l’expiration d’un délai par exemple nécessité de disposer du dossier administratif sur le lequel a été fondé une décision administrative telle une décision de licenciement ou le refus d’ouverture d’une officine. La condition d’utilité est satisfaite si la communication du document administratif est nécessaire au requérant pour engager une action en justice devant le tribunal administratif , mais par contre si le tribunal administratif est déjà saisi d’un recours , la condition d’utilité n’est pas satisfaite dès lors que le tribunal administratif saisi peut dans le cadre de ses pouvoirs généraux d’instruction ordonner cette communication.
Maitre BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour de Bouira
brahimimohamed54@gmail.com