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Le droit d’accès aux documents administratifs : Ce que prévoit la loi

mohamed brahimi Par Le 06/12/2024

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Très souvent le citoyen peine à se procurer des documents détenus par les administrations et autres organismes ou institutions publiques et ce alors même que la loi garantit le droit d’accès à ces documents et consacre le principe du droit de l’administré à l’information administrative. L’information des administrés sur les règlements et mesures qu’édicte l’administration intervient soit par la publication au journal officiel  ou via la presse ou l’affichage dans les lieux publics ,soit  par la notification à personne quand il s’agit  de décisions individuelles ou encore par la communication de toute information ou document en sa possession sollicitée par l’administré.  

C’est le décret n° 88-131 du 4 juillet 1988 organisant les rapports entre l’administration et les administrés  qui  instaure le principe de l’accès de l’administré aux documents et informations administratifs.Ce décret consacre un droit général applicable en principe à tous les documents administratifs sauf si un texte particulier exclut un document déterminé de ce droit à communication.

Bien que le principe du libre accès aux documents administratifs a été instauré en Algérie sous forme de décret et non pas par un texte législatif ce qui on s’en doute peut restreindre son champ d’application et que ce décret vise les « administrés » synonyme de la  relation de  subordination à l’administration  et qu’en outre il exclut les organismes de droit privé chargé de la gestion d’un service public qui détiennent un volume important de document administratifs , il n’en demeure pas moins que ce décret  n° 88-131 qui est signé par le Président de la République ce qui lui confère une autorité et une importance particulière , permet une lecture extensive du droit à communication des documents administratifs sachant que le texte de ce  décret  dans sa version en langue arabe qui est la version officielle parle de " citoyen مواطن et non pas  " d' administré" .

Le décret du  4 juillet 1988 ne  donne aucune définition  du document administratif  mais la jurisprudence administrative  qui  fait une lecture très libérale et extensive des dispositions de ce décret , considère comme documents administratifs les documents produits ou reçus  dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou même par les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. . Constituent de tels documents notamment les dossiers ,rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions. Il est aussi de jurisprudence constante que le droit à communication ne s'applique qu'à des documents achevés, aussi ce droit ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration et qu’en tout etat de cause  lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique , le droit à communication ne s'exerce plus .

Il faut aussi noter que la loi n° 18-07 du 10 juin 2018  relative à la protection  des personnes physiques  dans le traitement  des données à caractère personnel  permet  d’une part à toute personne  d’obtenir du responsable du traitement  la  communication sous  une  forme  intelligible les  données le concernant  qui  font  l’objet  de  traitement,  ainsi  que toute  information  disponible  sur  l’origine  de ces  données  , et d’autre part elle institue  une  autorité  nationale  indépendante  de protection  des  données  à  caractère  personnel chargée entre autres de recevoir les réclamations, les recours et les plaintes relatifs à la mise en œuvre des traitements des données à caractère personnel et d’informer leurs auteurs des suites qui leur sont réservées.

En outre des  textes particuliers imposent à certaines administrations la communication des documents administratifs en leur possession. Ainsi et en application  du décret n° 76-63 du 25 mars 1976 relatif à l’institution du livre foncier,  le responsable du cadastre et de la conservation  foncière est tenu d’une part , de communiquer au public les renseignements contenus en ses archives et relatifs aux  immeubles ( article 3) , et d’autre part de livrer à tous ceux qui le requièrent  copie ou extrait des documents déposés à son bureau,  extraits des fiches d’immeubles ou tout autre document cadastral ou certificats qu’il n’existe aucune des fiches dont copie ou extrait est requis (article 55).

Concernant spécialement les documents détenus par les services du cadastre et de la conservation  foncière qui sont très sollicités , il arrive souvent que  cette administration refuse  de délivrer certains documents au motif que  seuls les propriétaires  y ont droit . Ce refus est illégal puisque l’article 55 du décret   n° 76-63 du 25 mars 1976 consacre un droit de communication général. En application de ce décret   , toute personne peut se faire délivrer par le service de la conservation foncière entre autres   la  copie d’un acte transcrit ou publié, l’extrait  de documents transcrits ou publiés, la copie du  bordereau d’inscription d’hypothèque ou de privilège  ,le duplicata du livret foncier, le certificat relatif aux inscriptions ou publications actives ou passives  ( le négatif ).Quant au service du cadastre , tous les documents qu’il  détient qui par ailleurs ont été listés sur le site de la Direction nationale du domaine nationale sont communicables à toute personne qui le demande . Il s’agit notamment du document d'arpentage ( le CC2 / CC2 bis , le sigle CC signifiant Cadastre Communal ) , de l’état indiquant les changements survenus dans les propriétés foncières  ( le CC 3 ), de l’extrait cadastral et l’extrait d'acte (le CC4 bis), de l’extrait de la matrice cadastrale (le CC11), de l’extrait de l'état de section ( le CC12), de l’extrait de l'état des changements (le CC13), du relevé des renseignements d'ordre cadastral concernant les ilots de propriété (le CC14 ) ou encore de  l’extrait de plan cadastral  (le CC15 et le CC16).

A l’exception des documents administratifs qui sont publiés suivant la procédure y afférente  ( journal officiel ,  bulletin des actes administratifs ,affichage …) ou par notification à personne ( pour les décisions individuelles) , l’administré a aussi droit à communication de tout document émanant de l’administration non protégé par une restriction.   Ainsi , en vertu de l’article 10 du  le décret   du 4 juillet 1988 : « Sous réserve des dispositions de la réglementation en vigueur en matière d’informations classées et celles protégées par le secret professionnel, les administrés peuvent accéder aux documents et informations administratives ».En vertu de ce même texte, cet accès  aux documents et informations se fait soit  par consultation gratuite sur place , soit par délivrance de copies aux frais du demandeur. Bien que ce décret n’a pas défini la notion de «  documents et informations communicables » , il s’agit en fait des documents émanant des institutions  , administrations et organismes publics que la jurisprudence a étendu aux organismes de droit privé chargés de la gestion d’un service public

Si le principe général  est que tout citoyen a droit à la communication des documents détenus par les administrations publiques  exception faite des documents  protégés , quel est le moyen de recours que peut exercer un administré qui voit sa demande de communication d’un document administratif rejeté ? Il y a bien sûr le recours judiciaire par saisine du juge administratif  généralement  via la procédure d’urgence qui débouchera sur une décision  sous forme d’ordonnance sur pied de requête ( ancienne procédure)  ou sous forme  d’ordonnance de référé ( procédure en vigueur ) qui fera injonction à l’administration concernée de délivrer le document administratif  en cause. Bien que ce recours est recevable dans le cadre de la procédure administrative  , il n’en demeure pas moins qu’en l’absence d’une disposition dans le décret  du 4 juillet 1988  qui consacre expressément un tel recours  , certaines juridictions administratives rejettent les demandes de communication de documents administratifs introduites  par simple requête au motif  parfois erroné que ces actes peuvent être communiqués au cours  de l’instance au fond alors qu’un administré peut avoir intérêt à cette communication sans qu’il projette  d’introduire une  quelconque action judiciaire.

Dans certains pays , la mise en oeuvre du droit de  toute personne  à l’accès aux documents  administratifs est assurée par une structure spéciale .C’est ainsi qu’en France par exemple c’est la Commission d’accès aux documents administratifs qui  est une autorité administrative indépendante  qui est  chargée de veiller au respect de la liberté d’accès aux documents administratifs et aux archives publiques .Celle-ci est saisie  par toute personne qui se voit refuser l’accès à un document administratif ou n’obtient pas de réponse  et se prononce par un avis sur le caractère communicable ou non  de ce document .  

Le décret  du 4 juillet 1988  a bien prévu une structure chargée d’assurer le respect du principe de la liberté d’accès aux documents administratifs puisque l’artiche 34-2 énonce : « Il est institué une structure spécialement chargée  de donner suite aux requêtes des administrés » , mais cette structure n’a jamais été installée. Un décret présidentiel daté du 15 février 2020 portant le numéro 20-45  a bien  institué  un  médiateur de la République  chargé  entre autres  d’évaluer la qualité des rapports  de l’administration  avec les citoyens. Bien que le médiateur de la République  peut être saisi par la personne à qui a été refusé la communication d’un  document administratif , ce dernier  se concentre beaucoup plus  sur la résolution des litiges et l’amélioration des services publics  alors que la structure prévue par l’articles 32-2  du décret du 4 juillet 1988 se concentre  sur l’accès aux documents administratifs et la transparence .

En tout état de cause et même  en l’absence de la structure prévue par le décret du 4 juillet 1988  qui devait être chargée de se prononcer sur les requêtes des  personnes à qui l’accès à un document administratif a été refusé , il n’en demeure pas moins que ce  décret instaure des obligations  aux fonctionnaires des  administrations   en matière d’accès des administrés aux documents administratifs.

Tout d’abord le décret  du 4 juillet 1988  pose un principe général selon lequel l’administration  est tenu d’informer  les administrés  sur les règlements et mesures qu’elle édicte  et a l’obligation  de publier régulièrement  les instructions , circulaires, notes et avis concernant ses rapports avec les administrés. Concernant particulièrement la question de l’accès aux documents administratifs , l’article 10  du décret énonce  que les  administrés  peuvent accéder aux documents  et informations administratifs soit par consultation  sur place  soit par délivrance  de copies , et que tout refus  de communication doit être  notifié par décision motivée , c’est à dire que l’administration  doit expliquer les raisons pour lesquelles elle a refusé de communiquer le document sollicité . Ce droit à la communtaion couvre aussi les documents déposés aux archives de l’administration  concernée ou aux archives nationales.

En principe tous les documents administratifs sont communicables à l’exception des documents  classés , protégés par le secret professionnel ou se rapportant  à la vie privée ou à la situation  d’un individu. En vertu de l’article 30 du décret du 4 juillet 1988 ,le fonctionnaire  ne doit sous aucun prétexte  refuser  une délivrance d’un document  administratif  auquel  l’administré a régulièrement droit , faire obstacle  à leur accès , causer des retards ou des lenteurs injustifiés  pour leur délivrance  , ou encore exiger des pièces ou documents  non prévus par la loi  pour la délivrance de ces documents. La violation de ces obligations par le fonctionnaire concerné entraime à l’égard de ce dernier  des sanctions disciplinaires qui peuvent aller jusqu’au licenciement en cas de récidive. Bien plus ,  le fonctionnaire peut voir sa responsabilité civile et même pénale engagée s’il  refuse  délibérément de  délivrer ou  de communiquer à la personne qui le demande   une information ou un document   administratif et ce  en application de  l’article  40  dudit décret qui dispose : « Sans préjudice des sanctions civiles et  pénales  auxquelles ils s’exposent du fait de leurs fautes personnelles ,les fonctionnaires encourent  des sanctions disciplinaires  pouvant aller jusqu’au licenciement dans le cas d’entrave aux mesures dans le cadre de l’amélioration  des rapports entre l’administration et les administrés ».    

Ceci étant , il n’en reste pas moins que très souvent des citoyens se plaignent des lenteurs injustifiées dans le traitement  de leurs demandes de communication de tel ou tel document administratif. Dans  ce cas et en l’absence d’une structure administrative chargée de donner suite aux requêtes des administrés dont les demandes de communication ou de délivrance d’un document administratif ont été rejetées ou non traitées par l’administration concernée , seul un recours devant une juridiction administrative est à envisager. Le décret  du 4 juillet 1988 a succinctement aménagé  des moyens de recours  au cas où l’administration  ne répond pas à la demande de communication ou de délivrance d’une information ou d’un document administratif. Tout d’abord , en vertu de l’article  39  de ce  décret , l’administré qui  se voit refuser sa demande de communication  peut introduire un recours gracieux c’est  à dire saisir l’administration  qui a émis  ce refus pour lui demander de  revoir sa décision et de donner suite à sa demande. Rien n’empêche aussi cet administré d’introduire un recours hiérarchique c’est-à-dire saisir l’autorité supérieure de celle qui a refusé de communiquer le document sollicité. En outre le même article  dispose que l’administré peut directement utiliser  toutes les voies de droit  contre la décision de refus y compris pour une éventuelle  réparation du préjudice subi.

Le recours à  l’article  39  du décret du 4 juillet 1988  n’est pas aussi aisé qu’il n’y parait puisque il faudrait dès lors saisir  le juge compétent à l’effet d’obliger l’administration concernée  à communiquer ou à délivrer l’information ou le document en cause. En pratique il faudrait envisager deux situations : celle où l’administration  notifie par écrit à  l’administré   son refus de délivrer le document sollicité ,  et celle où elle garde le silence et ne répond pas à la demande de l’administré .Dans le premier cas le  refus émanant de l’administration prend la forme d’une correspondance  datée et signée par le responsable de l’administration concernée  et exposant les motifs de ce refus. Dans le second cas , le refus prend la forme d’une décision tacite de refus quand un certain délai s’est écoulé depuis  la réception de la demande de communication par l’administration. Ce délai est fixé à deux mois par l’article 830 du code de procédure civile et administrative.

Dans la première hypothèse où la décision  écrite de  refus de communiquer un document  a été notifiée à l’administré , ce dernier peut saisir le tribunal administratif par une action en annulation de ce refus assortie d’une demande d’injonction de communication et éventuellement accompagnée d'une  demande de réparation du préjudice. Ce recours doit être introduit dans le délai de deux mois qui court à partir de la date de notification de la décision de refus sous peine d’irrecevabilité de ce recours. Dans  la seconde hypothèse où l’administration  n’a pas daigné répondre à la demande de délivrance d’un document  , ce qui il faut le rappeler constitue une faute grave susceptible de sanctions disciplinaires et même pénales à l’encontre du fonctionnaire concerné   ,il faudrait d’abord attendre qu’un délai de deux mois se soit écoulé depuis le dépôt de la demande ou son envoi par voie  d’huissier ou par lettre recommandé avec accusé de réception , et une fois ce délai expiré saisir le tribunal administratif  dans un délai de deux mois qui court après  l’expiration du premier de délai de deux mois le tout en application de l’article 830 du code de procédure civile et administrative.

Cette procédure est incontestablement très lourde et prend beaucoup de temps à fortiori si un appel est exercé contre le jugement rendu .Il existe par ailleurs une procédure qui permet  au  juge administratif  d’ordonner la communication ou la délivrance d’un document administratif dans un délai beaucoup plus court. Pour ce faire il faudrait saisir le juge des référés par la voie du «  référé – mesures utiles » que l’on appelle aussi «  référé-communication » prévu par l’article 921-1  du code de procédure civile et administrative qui dispose : « En cas d’extrême urgence, même en l’absence d’un acte administratif préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucun acte administratif ».Ce texte  permet au juge des référés du tribunal administratif d’ordonner toute mesure notamment, ordonner  la communication  de décisions administratives ou de documents  administratifs .Cette procédure accélérée qui autorise la saisine du juge des référés est soumise  à une triple condition :  la mesure sollicitée c’est à  dire dans le cas d’espèce la communication d’un document administratif  doit être justifiée par l’extrême urgence  , qu’elle soit utile  et  enfin ne se heurte à aucune  contestation sérieuse. Dans ce genre de référé , la tenue d’une audience publique est facultative  puisque  seuls les cas visés  aux articles 919 et 920  du code de procédure civile et administrative  obligent le  juge des référés à  compléter  l’instruction écrite par la tenue d’une audience publique et ce en application de l’’article 929 du même code.

En matière de référé tendant à la communication  d’un document administratif ,  l’extrême urgence sera caractérisée si  la communication de ce document est nécessaire à la sauvegarde  des droits du demandeur .il en est ainsi si ce document  est nécessaire pour introduire  un recours avant l’expiration d’un délai par exemple nécessité de disposer  du dossier administratif  sur le lequel a été fondé une décision administrative telle une décision de licenciement  ou le refus d’ouverture d’une officine. La condition d’utilité est satisfaite si la communication du document administratif est nécessaire au requérant  pour engager une action en justice devant le tribunal administratif , mais par contre si le tribunal administratif est déjà saisi d’un recours  , la condition d’utilité n’est pas satisfaite dès lors que le tribunal administratif saisi peut dans le  cadre  de ses pouvoirs généraux d’instruction ordonner cette communication.

Maitre BRAHIMI Mohamed

Avocat à la cour de Bouira

brahimimohamed54@gmail.com