La règle donc est que toute personne est en droit de saisir un juge pour lui rendre justice au cas il se considère victime d’un acte dommageable .Mais ce droit n’est pas absolu. La loi sanctionne l’abus du droit d’ester en justice si celui qui y a recours était de mauvaise foi .Cette sanction peut tout d ’abord consister en la condamnation du demandeur qui a perdu son procès à des dommages et intérêts au profit de son adversaire pour action abusive. Il peut même être condamné au profit de l’Etat au motif que la saisine de la juridiction était abusive. Ainsi le justiciable qui perd son procès en appel , en pourvoi en cassation , en tierce opposition ou encore en récusation d’un magistrat,peut être condamné à une amende civile de 10 000 DA à 20 000 DA et ce en application des articles 347,377,388 et 247 du code de procédure civile.
Souvent , et les exemples ne sont pas rares , le justiciable saisit la juridiction pour condamner son adversaire en ayant recours à la fraude ou à des moyens frauduleux. Par exemple pour conforter et prouver ses prétentions, le demandeur en justice peut présenter au juge de fausses attestations ou de faux documents. Sur la foi de ces documents , que ni le juge ni la partie adverse n’ont soupçonné la fausseté , il est rendu un jugement en faveur de ce demandeur. Il ne fait aucun doute que ce justiciable a trompé le juge en recourant au mensonge et à des moyens frauduleux , aussi ce jugement perd son inviolabilité au sens qu’il peut être remis en cause ou tout au moins peut faire l’objet d’une action pénale de ce chef.
La victime de ces manoeuvres frauduleuse qui a vu son adversaire obtenir un jugement définitif susceptible d’exécution forcée , pourra tout d’abord introduire un recours en rétractation .Il pourra s’il ramène la preuve de la véracité des manœuvres frauduleuses qui ont provoqué ce jugement , le faire annuler. Le problème est que les conditions de recevabilité d’un tel recours sont limitativement fixées par la loi. En vertu de l’article 392 du code de procédure civile et administrative , le recours en rétractation n’est ouvert que dans les 2 cas suivants :
-S’il a été jugé sur des témoignages ou des pièces reconnus ou judiciairement déclarés faux depuis le jugement, l’arrêt ou l’ordonnance passé en force de chose jugée.
-Si depuis le jugement, l’arrêt ou l’ordonnance passé en force de chose jugée il a été recouvré des pièces décisives qui étaient retenues volontairement par une partie.
Certaines manœuvres qui tendent à tromper le juge et obtenir un jugement contre son adversaire , bien qu’elles peuvent être qualifiées de frauduleuses , ne sont pas constitutives du faux , aussi la jurisprudence comparée sanctionne en tant que délit ce comportement sous la qualification d’ « escroquerie au jugement ».C’est cette même jurisprudence qui a fixé les contours et les éléments constitutifs de cette infraction en la réprimant sur la base de la disposition du code pénal qui punit l’escroquerie.
L’article 372 du code pénal dispose : « Quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire, ou pour faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, d’un accident ou de tout autre événement chimérique, se fait remettre ou délivrer, ou tente de se faire remettre ou délivrer des fonds, des meubles ou des obligations, dispositions, billets, promesses, quittances ou moyens, escroque ou tente d’escroquer la totalité ou une partie de la fortune d’autrui est puni d’un emprisonnement d’un (1) an au moins et de cinq (5) ans au plus, et d’une amende de cinq cents (500) à vingt mille (20.000) DA ».
Sur la base de cette disposition , le jugement étant un titre exécutoire qui créé une obligation ou une décharge , la jurisprudence comparée sanctionne le fait de tromper la religion du juge pour obtenir un jugement en défaveur de son adversaire portant ainsi atteinte à la fortune et au patrimoine de ce dernier . La Cour suprême n’a pas encore à ma connaissance rendu des arrêts publiés sur la question , ce qui signifie que les justiciables victimes de tels agissements méconnaissent ce mécanisme pénal de remise en cause des jugements et ne saisissent pas ou saisissent rarement le juge pénal de ce chef d’infraction .Aussi c’est la jurisprudence de Cour de cassation française qui a fixé les contours de cette infraction spéciale sachant que la disposition pénale sur laquelle est assise cette jurisprudence est l’article 313-1 du code pénal français qui punit l’escroquerie qui est l’équivalent de l’article 372 du code pénal algérien.
La condition première pour que le délit d’escroquerie au jugement soit établi est qu’il y ait un mensonge destiné à tromper le juge afin d’obtenir un jugement favorable au détriment de la partie adverse. Mais cet élément n’est pas suffisant en lui-même , car le mensonge seul ne peut occulter le droit d’ester en justice. Il doit être suivi de manœuvres frauduleuses, c’est à dire d’un fait extérieur ou d’un agissement quel qu’il soit destiné à y faire ajouter foi . Ensuite il faudrait prouver l’intention coupable de l’auteur de la manœuvre frauduleuse , en l’occurrence démontrer que ce dernier a à dessein tromper le juge pour obtenir le jugement en sa faveur .Il s’agira donc de prouver la mauvaise foi
Peuvent constituer par exemple le délit d’escroquerie au jugement , la production dans une instance en divorce de documents attestant faussement la situation financière ou sociale de l’époux dans le but de minorer les pensions alimentaires attribuées à l’épouse, la condamnation du locataire au paiement d’arriérés de loyer au propriétaire qui a dissimulé le fait que le contrat de location a été résilié et le local loué à une autre personne .Relèvent aussi de la prévention d’escroquerie au jugement , la production dans une instance d’un jugement établissant la réalité d’une créance alors que ce jugement a été annulé en appel, la production par l’employeur d’un faux contrat de travail à durée déterminée afin d’éviter le versement d’indemnités pour licenciement abusif , la production d’une fausse facture pour justifier une créance, la production de fausses attestations ou de faux témoignages, la production de documents périmés n’ayant plus aucun effet juridique,
La mise en mouvement de l’action pénale pour le délit d’escroquerie au jugement intervient soit par un dépôt de plainte au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie,soit auprès du procureur de la république ,soit par dépôt de plainte auprès du juge d’instruction avec constitution de partie civile. En pratique la plainte vise en même temps le délit d’escroquerie au jugement et les infractions de faux et usage de faux .A l’instar de tous les délits ,le délit d’escroquerie au jugement se prescrit par 3 années conformément à l’article 8 du code de procédure pénale.La jurisprudence fixe le point de départ de cette prescription à compter du jour où la décision obtenue frauduleusement est devenue exécutoire et non au moment où le jugement est mis à exécution.
Par Mohamed BRAHIMI
Avocat à la cour de Bouira
brahimimohamed54@gmail.com