S’agissant d’un procès pénal devant un tribunal correctionnel de droit commun , il est évident que l’empêchement des journalistes et des citoyens venus assister aux débats est illégal et contraire aux prescriptions des articles 285 et 342 du code de procédure pénale qui pose le principe de la publicité des débats .Il ne peut être dérogé à ce principe que si la publicité des débats est dangereuse pour l’ordre public ou pour les mœurs , mais dans cette hypothèse le juge n’ordonnera le huis-clos qu’après avoir rendu un jugement motivé lu à l’audience publique .En dehors de ce cas , toute entrave à l’accès du public à la salle d’audience commise par une personne dépositaire de l’autorité publique peut être considérée comme un acte arbitraire et attentatoire à la liberté d’accès au prétoire qui est puni d’une peine d’emprisonnement en vertu de l’article 107 du code pénal.
Ce procès des deux anciens Premiers ministres où sont aussi impliqués d’autres ministres, inédit dans l’histoire judiciaire de l’Algérie , suscite des interrogations et des questionnements sur la compétence du tribunal de Sidi M’hamed au regard de la qualité de certains prévenus en l’occurrence les deux anciens Premiers ministres. Si la qualité de prévenus de ces derniers est confirmée, ce qui est le cas , la compétence aussi bien matérielle que territoriale du tribunal de Sidi M’hamed pour traiter et juger ce dossier peut être remise en cause.
Tourt d’abord il est indéniable que les infractions reprochées aux deux anciens Premiers ministres notamment celles de corruption passive et d’octroi d’indus avantages ont été commises à l’occasion de l’exercice de leurs fonction , et en conséquence toute poursuite pénale et éventuellement le renvoi devant une juridiction de jugement doit prendre en compte et cette qualité de Premier ministre et la circonstance que les faits qui leur sont reprochés ont été commis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions .C’est pour cette raison que l’instruction de ce dossier a été confiée non pas à un juge d’instruction du tribunal mais à un membre de la Cour Suprême et ce en application de l’article 573 du code de procédure pénale.
Pour les ministres poursuivis dans le même dossier , la question de la compétence matérielle du tribunal correctionnel de première instance pour les juger ne se pose pas puisque l’article 574 du même code reconnaît cette compétence .Mais s’agissant d’un Premier ministre, il en est autrement. La juridiction compétente matériellement pour juger un Premier ministre a été déterminée non pas par le code de procédure pénale ou le code de l’organisation judiciaire mais par la Constitution. L’article 177 de la Constitution dispose qu’ « il est institué une Haute Cour de l’Etat pour connaître… des crimes et délits du Premier ministre commis dans l’exercice de ses fonctions » .L’Algérie à l’instar de pratiquement tous les pays du monde a donc opté pour un traitement constitutionnel de la répression pénal du Premier ministre au même titre que le chef de l’Etat.En conséquence ,le jugement d’un Premier ministre ( comme le jugement du Président de la République ) est soustrait à la juridiction de droit commun c’est à dire au tribunal et confié à une juridiction spéciale : La Haute Cour de l’Etat
Du moment que Les deux anciens Premiers ministres ont commis les actes délictueux qui leur sont reprochés dans l’exercice de leur fonction, il est juridiquement de leur droit de revendiquer leur jugement par la Haute Cour de l’Etat et ce en application de l’article 177 de la Constitution.L’organisation et le fonctionnement de cette Haute Cour de l’Etat ainsi que les procédures de jugement devaient être précisés par une loi organique à laquelle a renvoyé l’article 177 alinéa 2 de la Constitution .Le problème est que cette loi organique n’a jamais vu le jour , et par conséquent la Haute Cour de l’Etat censée juger le Président de la République et le Premier Ministre n’existe pas.
Pour autant , et devant l’inexistence de la Haute Cour de l’Etat , est-il légal de faire juger les deux anciens Premiers ministres par un tribunal de droit commun au même titre que les autres ministres?La réponse ne peut être que négative.D’une part les constituants algériens et eu égard à la fonction de Premier Ministre avec tout ce que cette fonction induit en termes de charges politiques sensibles qui peuvent rejaillirent sur le gestion de la chose publique ,ont voulu confier à une juridiction spéciale qui devrait normalement être composée de parlementaires et de hauts magistrats la prérogative de juger un Premier Ministre . Ensuite, la juridiction compétente pour juger un Premier ministre ayant été définie par une disposition constitutionnelle expresse , il est évident que toute autre juridiction doit déclarer son incompétence quant bien même cette juridiction spéciale n’a pas encore été installée. Il n’appartient pas au juge ni à aucune autre juridiction de combler un vide législatif en déclarant sa compétence pour juger un Premier ministre en violation d’une disposition constitutionnelle .
Il n’existe pas de précédent jurisprudentiel en Algérie en rapport avec le jugement d’un Premier ministre ayant commis des infractions dans l’exercice de ses fonctions puisque jamais un Premier ministre n’a été traduit devant la justice pénale algérienne pour y être jugé . En droit comparé, on peut citer l’exemple de la justice belge qui a eu à traiter une affaire similaire. La Constitution belge de 1831 prévoyait qu’un ministre ne pouvait être jugé que par la Cour de cassation , mais pour le surplus c’est à dire pour la procédure de jugement ,elle renvoyait à la publication d’une loi.Cette loi n’a jamais été promulguée .En 1996 et malgré l’absence d’une telle loi , un ministre a pu être poursuivi puis renvoyé devant la Cour de cassation qui l’a condamné à une peine d’emprisonnement. L’attitude des autorités belges qui ont cautionné le jugement d’un ministre en l’absence de la loi d’application prévu par la Constitution a valu à la Belgique une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de l’absence de règles de procédure préalablement établies par la loi telle que stipulée par la Constitution ce qui a privé ce ministre d’un procès équitable suivant la décision de la Cour européenne.
Si le renvoi du ministre belge devant la Cour de cassation pour y être jugé pouvait à la limite être justifié juridiquement malgré la non publication de la loi prévue par la Constitution belge, et ce du moment que la Cour de cassation qui a procédé au jugement du ministre a été nommément désignée par la Constitution , le renvoi des deux Premiers ministres algériens devant le tribunal correctionnel d’Alger ne peut absolument pas être justifié du moment que la Constitution algérienne a prévu une juridiction spéciale autre que le tribunal en l’occurrence la Haute Cour de l’Etat ,seule habilitée à juger un Premier ministre à l’exclusion de toute autre juridiction.
C’est aussi au regard de sa fonction que le Premier ministre comme d’ailleurs les autres membres du gouvernement ne peuvent être convoqués devant un tribunal même pour être auditionnés en tant que témoin. En application de l’article 542 du code de procédure pénale , le témoignage d’un membre du gouvernement est reçu par écrit établi par le président de la cour d’Alger et lu à l’audience .Et si le tribunal estime nécessaire la présence du membre du gouvernement pour fournir son témoignage , une autorisation du chef du gouvernement est nécessaire.
Ce procès inédit pose en outre d’autres problèmes procéduraux que la législation pénale algérienne a complètement éludée notamment la question de la compétence territoriale. Le tribunal de Sidi M’hamed est-il territorialement compétent pour juger les deux Premiers ministres ainsi que les autres ministres qui lui ont été renvoyés après instruction ?La vérification préalable de cette compétence est d’autant plus importante que contrairement à la compétence territoriale en matière civile , la compétence territoriale en matière pénale est d’ordre public c’est à dire que le juge doit lui-même déclarer son incompétence s’il estime que c’est le tribunal d’un autre ressort qui doit juger le dossier.
Ce sont les articles 573 et 574 combinés du code de procédure pénale qui fixent la compétence territoriale du tribunal appelé à juger un ministre qui a commis un délit dans l’exercice de ses fonctions ( cas des ministres poursuivis dans ce dossier).Ces articles disposent que lorsqu’un membre du gouvernement donc un ministre, un magistrat de la Cour suprême ,un wali , un président de cour ou un procureur général a commis un délit ,l’inculpé est renvoyé après instruction diligentée par un membre de Cour suprême devant la juridiction compétente à l’exception de celle dans le ressort de laquelle l’inculpé exerçait ses fonctions. S’il s’agit d’un wali, d’un président de cour , d’un procureur général ou même d’un magistrat de la Cour suprême, la fixation du tribunal compétent ne pose pas problème, c’est celui relevant d’une autre wilaya pour le wali ou d’une autre cour pour le président de cour et le procureur général.
Mais si c’est un ministre qui est renvoyé devant le tribunal pour y être jugé , quel est ce tribunal ?L’article 574-1 du code de procédure pénale exclut la compétence du tribunal dans le ressort duquel il exerçait ses fonctions. Un ministre et à fortiori un Premier ministre exerçant ses fonctions à l’échelle nationale et non seulement locale , il est pour le moins compliqué de fixer la compétence territoriale du tribunal censé les juger.Ainsi concernant les deux Premiers ministres qui exerçaient leur fonction à partir du palais du gouvernement situé dans le ressort du tribunal de Sidi M’hamed,il est incontestable que ce tribunal est territorialement incompétent en vertu de l’article 574.
Il est évident qu’on se trouve ici encore devant une entorse flagrante aux dispositions constitutionnelles et législatives régissait la poursuite et le jugement des Premiers ministres et ministres ayant commis des délits à l’occasion de l’exercice de leur fonction.Cette entorse et cette méconnaissance de la loi qui n’avait pas lieu d’être au regard de la nature extrêmement sensible du dossier en cause , sont d’autant plus graves que le procès en cours peut être remis en cause par la juridiction supérieure en cas d’appel ou de pourvoi en cassation dans l’hypothèse où le tribunal de Sidi M’hamed maintienne sa compétence .
S’agissant d’un dossier judiciaire sensible impliquant des responsables politiques ayant occupé les plus fonctions de l’Etat et mis en cause dans de graves infractions à l’économie nationale , les autorités en charge du secteur de la justice notamment les hauts magistrats ayants instruits ces dossiers auraient dû dès le début des enquêtes visant ces responsables attirer l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de combler le vide juridique en procédant entre autres à la promulgation de la loi organique portant organisation et fonctionnent de la Haute Cour de l’Etat prévue par la Constitution et à son installation. Ne pas l’avoir fait pourrait être interprété comme une volonté d’escamoter ce genre de procès à l’image de ce qui s’était déjà passé avec le mandat d’arrêt décerné contre l’ancien ministre de l’énergie par un juge du tribunal de Sidi M’hamed en lieu et place d’un juge de la Cour suprême ce qui a entaché ce mandat d’arrêt de nullité absolue pour incompétence du juge d’instruction et entrainé l’impossibilité de son exécution puis carrément son annulation ultérieure.
Par maitre Mohamed BRAHIMI
Avocat à la cour