Cet article 73-4 de la loi n° 90-11 du 21 avril 1990 modifiée et complétée relative aux relations de travail qui ferme la voie de l’appel aux jugements rendus par les tribunaux dans les actions tendant à l’annulation d’une décision de licenciement du travailleur a toujours été critiqué aussi bien par les employeurs que par les travailleurs.Les premiers lorsque le jugement annule la décision de licenciement et les condamnent à réintégrer ou a indemniser le travailleur licencié, les seconds si le jugement les déboute de leurs actions en annulation de la décision de licenciement.
Il est toujours difficile pour un justiciable de se voir interdire d’user de la voie de l’appel contre un jugement rendu en sa défaveur que ce soit pour le travailleur qui voit son licenciement confirmé par le juge ou par l’emplouer qui se voit condamner à réintégrer le travailleur qu’il a licencié ou à lui verser une forte indemnisation financière.
La loi du 21 avril 1990 si elle a interdit l’appel contre ces jugements,elle a par contre ouvert la voie du pourvoi en cassation devant la Cour suprême,mais sachant que cette haute juridiction ne statuera sur ce recours qui n’est pas suspensif que dans un délai qui dépasse souvent une année, la décision de la Cour suprême quant bien même elle est favorable ne réparera le préjudice subi par l’exécution de la première décision que partiellement.
Les critiques émises aussi bien par les avocats que par les simples justiciables à l’encontre de la règle de l’interdiction de la voie d’appel contre les jugement du tribunal statuant sur le licenciement du travailler édictée par l’article 73-4 sont d’autant plus justifiées que très souvent,les recours en annulation contre les décisions de licenciement sont portés devant la section sociale du tribunal qui souvent sont jugés par des magistrats fraichement installés ou n’ayant pas une grande expérience ce qui on s’en doute se répercute sur la qualité des jugements rendus.
Aussi c’est sans surprise que plusieurs exceptions d’inconstitutionnalité de l’article 73-4 ont été soulevées au cours des procédures mettant en cause des décisions de licenciement ce qui explique le nombre de 23 recours.Au soutien de leurs demandes de déclarer inconstitutionnel l’article 73-4 de la loi relative aux relations de travail, les demandeurs soulignent devant la Cour constitutionnelle que cette disposition législative est d’une part contraire aux dispositions de l’article 37 de la Constitution qui stipule que : « les citoyens sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection de celle-ci, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale » et d’autre part contraire à l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution qui prévoit que : « la loi garantit le double degré de juridiction ».
Bien que la Cour constitutionnel ait souligné que l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution stipule effectivement que la loi garantit le double degré de juridiction et en précise les conditions et les modalités de son application , elle a jugé que cet article confère tacitement au législateur la prérogative d’imposer les restrictions et les dérogations nécessaires à ce principe et par conséquent la loi peut imposer une exception au double degré de juridiction sans que cela constitue une atteinte à la constitution.
Poursuivant son argumentaire au soutien de la constitutionnalité de la règle de l’article 73-4 , la Cour constitutionnelle a fait remarquer qu’en instituant la règle de l’article 73-4 , le législateur a voulu attribuer à la juridiction sociale des règles procédurales particulières qui se distinguent par le principe de célérité et de la préservation des intérêts sociaux et professionnels de la catégorie des travailleurs, et aussi par le souci de ne pas lier le règlement de leurs litiges à de longues et complexes règles procédurales générales ,aussi le droit d’appel pourrait donc être limité sans préjudice des garanties judiciaires substantielles des justiciables, et que par conséquent, l’annulation de l’appel en matière de litiges relatifs aux relations de travail ne porte pas atteinte aux droits des citoyens, mais au contraire veille au bon fonctionnement de la justice.
En outre la Cour constitutionnelle considère que les affaires sociales et notamment celles relatives au licenciement abusif ont un caractère urgent aussi bien pour les délais de leur enroulement, du prononcé de leurs jugements que pour leur exécution, et c’est pour cette raison que la loi a exonéré totalement ou partiellement l’employé des frais judiciaires compte tenu de sa situation matérielle, professionnelle et sociale, qui souvent ne lui permettent pas de supporter la longueur de l’attente du délai de règlement de son affaire.
Enfin la Cour constitutionnelle a aussi considéré qu’en tout état de cause,et contrairement aux autres conflits portés devant les tribunaux , les conflits de travail font l’objet obligatoirement avant la saisine du tribunal d’une procédure préliminaire en vue d’un règlement à l’amiable notamment une procédure de conciliation devant l’inspection du travail ,et ce alors que l’article 34 (alinéa 2) de la Constitution prévoit exceptionnellement la restriction des droits, libertés et garanties pour des raisons liées au maintien de l’ordre public,à la sécurité et à la protection des constantes nationales, ainsi que celles nécessaires à la protection d’autres droits et libertés consacrés par la Constitution ,et que tant qu’il appartient au législateur d’établir les conditions et les modalités du double degré de juridiction, il peut, par ce moyen, garantir ce principe dans tous les conflits de travail lorsqu’il le juge approprié.
De tout ce qui précède, la Cour constitutionnelle a tiré cette conséquence que l’article 73-4 de la loi n° 90-11 du 21 avril 1990, modifiée et complétée,relative aux relations de travail n’est pas en contradiction avec les articles 37 et 165 (alinéa in fine) de la Constitution,et par conséquent déclare la constitutionnalité de cet article.
Il est à remarquer que les motifs invoqués par la Cour constitutionnelle au soutien de sa déclaration de conformité à la constitution de l’article 73-4 ont été exposés dans sa première décision n° n° 01/D.CC/EI/22 26 janvier 2022 , les autres décisions au nombre de 22 portant les n° 2 au n° 23 prononcées le même jour n’ont pas été motivées au fond car s’agissant d’exceptions d’inconstitutionnalité portant sur le même article 73-4 ,aussi la Cour constitutionnelle s’est contentée de renvoyer aux considérants de sa première décision et ce en application de son règlement qui stipule dans son article 29 bis que : « Lorsque le Conseil constitutionnel enregistre, avant de se prononcer sur l’exception d’inconstitutionnalité de la disposition législative,plus d’une décision de renvoi portant sur la même disposition législative,il se prononce au fond sur la première exception qui lui est soumise pour examen , et se prononce sur les exceptions suivantes soulevées au sujet de la même disposition législative par des décisions portant exceptions précédemment jugées».Pour les autres décisions au nombre de 22, la Cour constitutionnelle a donc jugé qu’elle s’est déjà prononcée sur la constitutionnalité de l’article 73-4 par la décision n° 01/D.CC/EI/22 du 26 janvier 2022, et par conséquent il y a lieu de déclarer que l’objet de ces recours a été précédemment jugé.
Maitre BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour de Bouira
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