Les pièges des procédures devant lesquels peut buter le justiciable qui saisit le tribunal administratif l’opposant à une entité publique ( Etat, wilaya, commune, établissement public à caractère administratif ) sont multiples. Contrairement au contentieux civil, le contentieux administratif est régi par un formalisme qui peut déconcerter un habitué du contentieux civil. Nous passerons en revue les principales règles applicables devant la juridiction administrative puis les modalités de régularisation des différentes irrégularités
Les règles de compétence
Le justiciable qui engage une action devant une juridiction administrative doit indiquer quel est le tribunal administratif compétent parmi tous les tribunaux repartis sur le territoire national sachant que le nombre des tribunaux administratifs a été fixé à 58 par le décret exécutif n° 22-435 du 11 décembre 2022. La règle générale est que les recours doivent être formés contre des décisions rendues par des autorités administratives , aussi le critère est l’auteur de la décision .Il faut donc porter le litige devant le tribunal administratif du siège de l’autorité qui a pris la décision attaquée ou signé le contrat. c’est la règle générale de la compétence du tribunal du domicile du défendeur ( article 803 du CPCA) .Les exceptions à cette règle générale de compétence territoriale sont énumérées à article 804 du CPCA.
Le tribunal administratif d’appel d’Alger a une compétence spéciale puisque en vertu de l’article 900 bis 3 du code de procédure civile et administrative , il connait en premier ressort des recours en annulation, en interprétation ou en appréciation de la légalité formés contre les actes administratifs émanant des autorités administratives centrales, des institutions publiques nationales et des organisations professionnelles nationales. Ces matières étaient dans l'ancienne législation de la compétence du Conseil d'Etat.Il s’agit par exemple du recours pour excès de pouvoir contre les ordonnances du président de la république ( article 142 de la constitution), les décrets , les actes des ministres ( décisions , circulaires ,instructions) ou encore les décisions des différents ordres professionnels (ordre des avocats ,des médecins, des notaires…).
Quant aux tribunaux administratifs d’appel qui sont au nombre de 6 en application du décret exécutif n° 22-435 du 11 décembre 2022 , ils sont compétents pour statuer en appel contre les jugements et ordonnances rendus par les tribunaux administratifs (article 900 bis-1 du CPCA). La compétence territoriale des tribunaux administratifs d’appel est fixée conformément à l’annexe joint à ce décret .Ainsi le tribunal d’appel d’Alger est compétent pour statuer en appel contre les jugements et ordonnances rendus par les tribunaux administratifs d’Alger,Blide,Bouira,Tizi-Ozou,Djelfa,Médéa,Msila,Boumedes,Tipaza et Ain Defla.
Contrairement à la compétence territoriale des juridictions civiles, la compétence territoriale des juridictions administratives est d’ordre public ( article du 807 CPCA) , aussi elle ne peut pas faire l’objet de dérogations ni par accord des parties ni par voie d’élection de domicile et c’est toujours le domicile réel qui est pris en considération pour marquer la compétence territoriale. mais nous verrons que la loi a prévu un mécanisme pour régulariser l’erreur commise par le requérant qui s’est trompé sur la juridiction compétente.
L’intérêt et la capacité à agir
Le demandeur devant le tribunal administratif comme c’est le cas devant le tribunal de droit commun doit avoir intérêt à agir ,c’est à dire il doit prouver l’utilité de sa demande et qu’en outre il a capacité pour agir. S’il s’agit d’un recours contre une décision administrative , cette décision doit être défavorable au requérant .Si l’action est engagée par une personne morale telle une association par exemple, elle doit prouver que la mesure qu’elle attaque a un impact directe sur elle à l’instar par exemple d’une association à qui on refuse la délivrance du récépissé d’enregistrement de sa constitution. Elle doit aussi impérativement justifier que son objet social est en rapport avec le litige et ce en produisant son statut en vigueur à la date du recours.
Dès lors que l’intérêt à agir est évident, le demandeur doit prendre certaines précautions pour éviter que sa requête ne soit déclarée irrecevable.Il ya lieu d’abord d’éviter le piège de la requête collective qui malheureusement est mal appliquée par les tribunaux administratifs qui sous le faux vocable de l’individualisation des actions « تفريد الدعوى » rejettent systématiquement et d’office le recours ou l’action engagé par plusieurs personnes contre une même décision administrative ou par une seule personne contre plusieurs décisions administratives . Cette requête collective qui dans la pratique du contentieux administratif est connu sous le nom de requête collective personnelle pour le premier et requête collective réelle pour le second , n’est pas en vérité irrecevable dès lors qu’il existe un lien suffisant soit entre les requérants soit entre les décisions administrative attaquées.
L’indication du représentant du requérant ou du défendeur personne morale est aussi source de difficulté qui peut entrainer l’irrecevabilité de la requête en cas de non régularisation. Dans les actions ou recours engagés par les particuliers contre certaines personnes morales de droit public ( Direction des domaines , conservation foncière, direction des impôts...) ,et alors que d’habitude ces recours sont dirigés contre respectivement le directeur des domaines de la wilaya, le directeur de la conservation foncière de la wilaya ou le directeur des impôts de la wilaya , certains tribunaux administratifs ont innové en mettant en demeure les requérants de régulariser leur requête en rectifiant l’identification de ces entités .Ainsi au lieu de « Directeur des domaines de la wilaya de… » , il ya lieu d’indiquer « L’Etat représenté par le ministre des finances représenté par le directeur des domaines de la wilaya de… ».
Cette solution prôné par certaines juridictions administratives n’est pas convaincante car d’une part le Conseil d’Etat qui est la plus haute juridiction administrative n’a jamais censuré un jugement d’un tribunal administratif au motif que le recours devant ce tribunal a été dirigé par exemple contre « le directeur des impôts » au lieu de « l’Etat représenté par le ministre des finances représenté par le directeur des impôts ».D’autre part, il est en tout état de cause possible d’attaquer directement la décision administrative litigieuse en mentionnant la qualité de son auteur : « Mr. N.P. demandeur contre l’arrêté du maire de …en date du… refusant la délivrance du permis de construire » défendeur »ou encore « Mr .N.P. demandeur contre la décision du directeur de impôts de la wilaya de… n°… en date du…rejetant une réclamation en date du… contre les impositions à la taxe foncière des années … défendeur ».
Si certaines personnes publiques ne posent aucune difficulté quand à l’identification de son représentant à l’instar de la wilaya qui est représenté par le wali , ou la commune qui est représentée par le maire, dans certaines situations la recherche de l’autorité représentative peut être ardue bien que la nouvelle loi du 12juillet 2022 modifiant et complétant le code de procédure civile et administrative dispose en son article 828 que dans les actions où ils sont partie en tant que demandeur ou défendeur, l’Etat, la wilaya, la commune, l’établissement public à caractère administratif, les institutions publiques nationales ou les organisations professionnelles nationales et régionales sont, respectivement, représentés par le ministre concerné, le wali, le président de l’assemblée populaire communale et le représentant légal pour les établissements publics à caractère administratif, les institutions publiques nationales et les organisations professionnelles nationales et régionales.
Ainsi si le wali représente la wilaya dans les instances où la wilaya est partie , il peut aussi en application de l’article 110 du code de la wilaya représenter l’Etat dans sa wilaya quant il s’agit d’un contentieux mettant en cause l'activité de certains services déconcentrés de l’Etat. Il en est de même pour la maire qui , s’il représente la commune , il peut aussi dans certains contentieux et en application de l’article 85 du code de la commune représenter l’Etat ,notamment quand il exerce un pouvoir de police au nom de l’Etat par exemple en matière de recours contre un arrêté interruptif de travaux.
quant à l’Etat, il est en principe représenté par le ministre intéressé, mais les autorités administratives indépendantes sont représentées par leur président. S’agissant des ministres, il existe de nombreux cas de dérogations et délégations de sorte que la représentation par le wali est la plus courante. Par arrêté pris par le ministre, ce dernier peut donner délégation aux chefs de services déconcentrés relevant de son ministère à l’effet de les représenter en justice. A titre d’exemple ,le ministre de l’hydraulique est représenté au niveau de la wilaya par le directeur de l’hydraulique (arrêté en date du 8 avril 2018 ), le ministre des finances est représenté par le directeur des domaines ou le directeur du cadastre et de la conservation foncière (arrêté en date du 20 avril 1999).
Souvent il est difficile d’identifier l’adversaire. Ainsi quand il s’agit d’un recours en annulation ou en réformation contre des décisions administratives , on ne sait pas si une autorité ayant une double fonction à l'instar du wali ou du maire a agit au nom de telle personne morale ou de telle autre , par exemple le wali a-t-il agit au nom de la wilaya ou au nom de l’Etat. Aussi pour éviter cet écueil qui peut entrainer l’irrecevabilité de l’action tendant à l’annulation ou à la reformation d’une décision administrative , il est recommandé d’indiquer que l’on attaque l’acte x rendu par l’autorité y ( maire ,wali …).Il s’agit dans ce cas d’un recours contre un acte et non pas contre une autorité , mais néanmoins ce recours rendra impossible la demande en condamnations de la partie adverse aux frais de justice notamment aux frais d’avocat du moment que cette demande implique la condamnation d’une personne morale déterminée.
Dans les recours en plein contentieux ou en responsabilité , il arrive que la détermination de l’adversaire s’avère impossible ou compliquée à l’instar des travaux de réalisation d’une route ayant entrainé des dommages à la propriété privée de riverains exécutés par l’autorité publique sans qu’on sache si cette autorité est l’Etat ,la wilaya ou la commune. Dans ce cas on peut recourir à la règle de la responsabilité in solidum c’est à dire mettre en cause toutes les autorités susceptibles d’être l’auteur des travaux .Mais s’il est vraiment impossible d’identifier cet adversaire , on peut préalablement à l’introduction de l’action en responsabilité , introduire un référé-expertise sur la base de l’article 940 du code de procédure civile et administrative ou l’on mettra dans la cause les adversaires potentiels au fond ce qui permettra par la recherche des causes du dommage d’identifier en même temps l’adversaire.
Règles de saisine
A l’instar de la requête devant la juridiction civile, la requête devant la juridiction administrative doit satisfaire aux exigences de l’article 815 et suivants du code de procédure civile et administrative, et contenir notamment les mentions prévues a l’article 15 du même code .La requête doit bien sûr être intitulée . Ainsi s’il s’agit d’un référé il est préférable de préciser la nature du référé soumis au juge ( référé- liberté, référé-mesures utiles, référé-expertise…).La requête doit être rédigée en langue en arabe sous peine d’irrecevabilité ( article du 8 CPCA).
Comme devant le tribunal civil, on utilise les mots pour ou contre avec la qualité des parties ( demandeur, défendeur, intervenant, mis en cause , appelant , intimé , demandeur au pourvoi…) .La requête doit contenir le représentant de la personne morale mais il n’est pas requis d’indiquer son nom mais seulement sa qualité ( maire , ministre , directeur général…).La requête présentée par un avocat contient le tampon de ce dernier mais rien n’interdit d’utiliser le papier en tète pour justifier la qualité d’avocat, mais le tampon doit revêtir le timbre apposé sur la requête et ce en application de l’article 2 du décret exécutif n° 18-185 du 10/07/2018. La requête doit être signée sous peine d’irrecevabilité par l’avocat ou par le requérant.
La requête doit en outre contenir un exposé des faits , demandes et moyens (article du 15 CPCA).Si la requête ne contient pas au moins un moyen , elle sera déclarée irrecevable. Ainsi le requérant qui dépose une requête mentionnant seulement qu’il forme un recours contre un arrêté du maire ordonnant la suspension des travaux qu’il a entrepris sans indiquer les faits et les moyens sur lesquels il fonde son recours verra son action rejeté . Le moyen consiste à énoncer la disposition constitutionnelle, légale ou réglementaire ou la clause contractuelle qu’on invoque ,et explique en quoi consiste la violation de cette disposition .Il n’est pas nécessaire de viser un texte à l’appui de la demande car il revient au juge de rechercher les textes applicables au litige. L’article 15 du code de procédure civile et administrative autorise un exposé sommaire des faits , aussi il convient de produire ultérieurement un mémoire complémentaire qui explique les arguments à l’appui des moyens invoqués. La requête doit contenir bien sûr les conclusions c’est à dire ce qu’on demande au juge : annuler une décision du maire, condamner l’Etat à une indemnisation…
Procédure préalable au dépôt de la requête( Recours administratif préalable obligatoire)
Il convient avant d’engager une action devant le tribunal administratif de vérifier si la loi a prévu un recours préalable obligatoire avant saisine du juge administratif . Si tel est le cas, l’action sera déclarée irrecevable si le requérant ne produit pas devant le tribunal la preuve que le recours préalable a été bien exercé. Ce recours administratif spécial tend à chercher un règlement amiable au litige. Ainsi dans le contentieux relatif à la situation personnelle des fonctionnaires et notamment en matière disciplinaire, le tribunal administratif ne peut être saisi qu’après que le fonctionnaire ait soumis le différent à une commission paritaire .Il en est de même pour certaines professions réglementées ( ordre de avocats , des notaires , des médecins) où il est fait obligation à celui qui veut attaquer une décision émanant de ces ordres professionnels de saisir préalablement la commission compétente de l’ordre concerné pour statuer sur le litige avant d’engager une procédure devant le tribunal administratif .
Dans le contentieux fiscal , le contribuable qui s’estime lésé par une imposition ou un redressement fiscal doit avant de contester la décision du service des impôts devant le tribunal administratif présenter une réclamation devant le service auteur de l’imposition. La saisine du tribunal administratif ne peut intervenir qu’après que le service des impôts ait statué définitivement sur cette réclamation ( article 337 du code des impôts directe et taxes assimilées).Cette irrecevabilité ainsi que celles mentionnées sont d’ordre public et le tribunal administratif peut la soulever d’office ( arrêt du Conseil d’Etat du 25/02/2003, dossier n° 6325 – la formalité du recours préalable devant le service des impôts est d’ordre public - ). Le recours préalable obligatoire avant saisine du tribunal administratif n’est pas applicable devant le juge des référés.
Procédure ultérieure au dépôt de la requête
Il est de pratique courante devant le tribunal administratif que seule la requête introductive d’instance est déposée au greffe. Ce n’est qu’après cette formalité que les documents au soutien de cette requête sont déposés au greffe et notifiés à la partie adverse. Mais si la requête tend à l’annulation, à l’interprétation ou à l’appréciation de la légalité d’un acte administratif, la requête doit être accompagnée de l’acte administratif attaqué et ce sous peine d’irrecevabilité ( article 819 du CPCA).
Concernant les documents à produire par le requérant l’appui de son recours devant tribunal administratif , il s’agit de tous documents susceptibles de prouver ses prétentions et sa qualité ( pièces administratifs, témoignages, lettres , plans…) .Il n’est pas interdit de produire des documents audiovisuels tels les fichiers informatiques, et il revient au juge d’apprécier la valeur de ces documents. Les témoignages sont produits sous forme d’attestations signées par le témoin qui peuvent être établis par devant notaire ou par légalisation de la signature par devant un agent de la commune. Il peut aussi être utile de produire à l’appui d’une prétention la jurisprudence du Conseil d’Etat ayant déjà statué sur le même litige et notamment les arrêts publiés dans la revue ou le site dédié de cette juridiction. Les documents produits sont déposés au greffe du tribunal (article 838 du CPCA) et sont notifiés à la partie adverse par le greffier. Il est préférable de numéroter les documents produits et quand on cite un documents dans la requête , il est souhaitable d’indiques le numéro du document.
Devant le tribunal administratif d’appel, il n’est pas nécessaire de produire les documents qui ont déjà été produits devant le tribunal administratif du fait que le dossier tenu au niveau du tribunal administratif lui est automatiquement transmis.
Le régime des régularisations
Contrairement au procès civil , le procès administratif est soumis à un régime de régularisation des irrégularités procédurales très libéral au point où on parle de « droit à régularisation en cas d’erreur » .Certaines irrégularités sont irrégularisables et entrainent de facto l’irrecevabilité à l’exemple du non respect des délais d’exercice des voies de recours (appel , cassation), ou encore le non respect de certains délais à l’exemple du recours en annulation d’un acte administratif qui doit impérativement être exercé dans le délai de 4 mois à compter de la notification à personne ( article 829 du CPCA). Mais ce dernier délai de 4 mois ne court que s’il a été expressément mentionné dans l’acte de notification de l’acte administratif attaqué sinon le délai reste ouvert et ce conformément à l’article 831 du code de procédure civile et administrative .
Le régime de la régularisation des irrégularités que peut commettre le requérant dans sa requête ou ses conclusions diffère en fonction du moment dans lequel intervient le régularisation : dans le délai de recours ou après l’expiration de délai de recours.
Régularisation impossible
En raison de leur nature , de la finalité qu’elles poursuivaient ou de leur caractère d’ordre public , Certaines irrégularités ne peuvent être régularisées. Il s’agit d’abord de la règle du délai de recours qui impose au requérant de former son recours dans un délai déterminé sous peine de voir sa requête irrémédiablement rejetée. (saisine de la juridiction dans le délai de 4 mois après notification à personne de l’acte administratif , délai de prescription de 15 ans qui court à compter de la date de l’acte administratif ou du fait objet de la requête , délai d’appel , délai de pourvoi cassation ).
Comme déjà mentionné , quand la loi institue un recours administratif préalable obligatoire avant la saisine de la juridiction administrative , le non exercice de ce recours administratif entraine de facto le rejet de la requête qui n’est pas susceptible de régularisation. Si cette irrecevabilité est d’ordre public comme nous l’avons indiqué , la jurisprudence administrative comparée admet que si le requérant a bien exercé le recours administratif préalable obligatoire mais a saisi le juge avant que l’autorité administrative n’ait statué sur sa demande , l’irrecevabilité pourra être couverte si la décision de l’autorité administrative saisie du recours préalable intervient en cours d’instance.
Enfin la régularisation est exclue si le contentieux concerne un recours contre des actes administratifs qui n’ont pas le caractère d’actes justiciables tels les actes préparatoires .Ces derniers ne peuvent être contestés qu'à l'appui d'un recours dirigé contre la décision par laquelle l’autorité administrative se prononce définitivement sur le litige.
Régularisation dans le délai de recours contentieux de 4 mois
En principe tant que le délai de recours n’a pas expiré , on peut pratiquement tout régulariser durant ce délai , sauf si le tribunal met en demeure de régulariser car dans ce cas la régularisation doit intervenir durant le délai fixé par le juge.
En application de l’article 829 du code de procédure civile et administrative , le délai de recours devant le tribunal administratif est de 4 mois à compter de la date de notification à la personne d’une copie de l’acte individuel ou de la publication de l’acte administratif collectif ou réglementaire .Mais si le procès-verbal de notification de l’acte administratif à la personne concernée n’a pas mentionné ce délai de recours de 4 mois ,le délai de saisine du tribunal administratif reste ouvert, par contre le dépôt de la requête devant le tribunal administratif fait courir le délai de recours et par conséquent le requérant dispose d’un délai de 4 mois pour régulariser . Généralement le délai dont dispose le requérant est court et est au maximum de 4 mois. Si l’acte administratif a été par exemple notifié le 15 février et qu’il mentionne le délai de recours, la limite pour régulariser est le 16 juin quelle que soit la date de dépôt de la requête , mais si cette requête a été déposée le 16 mai le requérant n’aura qu’un mois pour régulariser.
C’est par exemple durant le délai de recours de 4 mois que doit être régularisé le défaut de motivation du recours devant le tribunal administratif . Aux termes de l’article 817 du code de procédure civile et administrative : « la requête ne soulevant aucun moyen peut-être régularisée par le demandeur par le dépôt d’un mémoire ampliatif au cours du délai du recours contentieux – 4 mois - cité aux articles 829 et 830 » .L’absence de conclusions dans la requête peut-être régularisée dans les mêmes conditions .Cette restriction temporelle au principe de la régularisation ne concernera toutefois en pratique que le requérant véritablement négligeant c’est à dire celui dont la requête ne contient l’exposé « d’aucun motif » ou d’aucune conclusion , alors qu’une requête incomplètement motivée peut être régularisée à tout moment de la procédure.
Régularisation après l’expiration du délai du recours contentieux de 4 mois
A l’exception des irrégularités qui doivent être régularisées dans le court laps de temps du délai de recours de 4 mois, où dont la régularisation est impossible, les autres irrégularités qui sont d’ordre purement procédurales peuvent être régularisés à tout moment jusqu’à la clôture de l’instruction .Le code de procédure civile et administrative n’énumère pas les irrecevabilités susceptibles d’être couvertes. La jurisprudence du Conseil d’Etat est elle-même limitée puisque rares sont les arrêts publiés qui ont statué sur telle ou telle irrecevabilité , aussi il est fait référence à la jurisprudence comparée notamment celle du Conseil d’Etat français
Erreur sur la fixation du tribunal compétent : La compétence territoriale du tribunal administratif est d’ordre public et ce en vertu de l’article 807 du code de procédure civile et administrative , ce qui implique que l’exception d’incompétence territoriale peut être soulevée en tout été de cause par les parties comme elle peut être relevée d’office par le juge. Il en est de même pour la compétence territoriale du tribunal administratif d’appel.
En cas de saisine erronée de la juridiction administrative la question de compétence est réglée de la manière suivante :
Si un tribunal administratif est saisi de demandes qu’il estime relever de la compétence du tribunal administratif d’appel, son président transmet, dans les meilleurs délais le dossier au tribunal administratif d’appel ( article 813 -1 du CPCA) .C’est alors au tribunal administratif d’appel de régler la question de compétence soit en statuant lui-même sur le litige , soit en se déclarant incompétent et renvoit l’affaire devant le tribunal administratif compétent pour statuer sur la demande ( article 813-2 du CPCA).
Quid de la saisine erronée du Conseil d’Etat à la place du tribunal administratif ou du tribunal administratif d’appel, ou encore de la saisine erronée du tribunal administratif ou du tribunal administratif d’appel à la place du Conseil d’Etat ? Les modification apportées au code de procédure civile et administrative par la loi n° 22-13 du 12 juillet 2022 n’ont pas prévu ces situations .Il y a bien l’article 814-2 qui dispose que: « Lorsque le Conseil d’Etat règle la compétence et renvoie l’affaire devant le tribunal administratif d’appel compétent, ce dernier ne peut plus décliner sa compétence », mais cette disposition qui alors même qu’elle est insérée dans la section intitulée « Du règlement des questions de compétence » , elle n’est d’aucun secours quand à la possibilité de régulariser les erreurs susmentionnées par le renvoi de l’affaire à la juridiction compétente .Sous l’ancien article 814 du code de procédure civile et administrative qui énonce la même règle que l’article 814 modifié, il était de jurisprudence constante que la saisine du Conseil d’Etat en lieu et place du tribunal administratif ou la saisine du tribunal administratif au lieu et place du Conseil d’Etat a été toujours sanctionné par l’irrecevabilité de la requête.
Défaut d’avocat : Si la constitution d’un avocat devant le tribunal administratif est facultatif , par contre devant le tribunal administratif d’appel ou le Conseil d’Etat , le ministère d’avocat est obligatoire et ce sous peine d’irrecevabilité ( article 900 bis 1-2 et 904 du CPCA ).Bien que les tribunaux administratifs ont l’habitude de rejeter les requêtes présentées par les justiciables sans constitution d’un avocat, il est possible de régulariser cette irrecevabilité tant que l’instruction n’est pas clôturée. Il suffit à l’avocat constitué de signer la requête ou les mémoires déjà déposés ou déposer un nouveau mémoire. Rien n’empêche aussi le tribunal administratif d’appel au cas où le requérant n’a pas constitué avocat de le mettre en demeure de régulariser. C’est dans ce sens qu’a statué le Conseil d’Etat français à propos d’une exception d’irrecevabilité tirée du défaut du ministère d’avocat: « Considérant que l'irrecevabilité de conclusions présentées sans le ministère d'un avocat ne peut être opposée que si le requérant, d'abord invité à régulariser son pourvoi par le recours au ministère d'un avocat, s'est abstenu de donner suite à cette invitation » (arrêt en date du 27/01/1989 , n° 68448).
Absence de signature : En cas d’oubli de signature de la requête , l’irrecevabilité n’est opposable qu’après mise en demeure du tribunal de régulariser. Ce procédé sera très utile en cas de recours par télécopie ou autre voie électronique désormais autorisé par la loi ( article 815 nouveau du CPCA).
défaut de capacité ou de qualité : Le défaut de capacité à agir est régularisable soit par la disparition de l’incapacité , soit si la personne habilitée déclare s’approprier les conclusions déposées. Ainsi si la requête a été présentée par un mineur ou par un représentant d’une personne morale non habilitée , dans le premier cas le tribunal mettra en demeure le mineur de faire régulariser par son représentant légal qui déposera un mémoire par lequel il déclare s’approprier les conclusions déposées par le mineur ou carrément présenter une nouvelle requête sans bien sûr modifier l’objet et la cause de la requête initiale , et pour le deuxième cas la régularisation intervient avec l’intervention de la personne qui a la qualité de représentant.
Défaut de production de la décision attaquée : en vertu de l’article 819 du code de procédure civile et administrative : « la requête tendant à l’annulation, l’interprétation ou l’appréciation de la légalité d’un acte administratif doit à peine d’irrecevabilité être accompagnée, sauf empêchement justifié, de l’acte administratif attaqué ». En outre en vertu de l’article 841 du même code : « les copies des pièces produites à l’appui des requêtes et mémoires sont notifiés aux parties ». L’ irrecevabilité pour non production de l’acte administratif attaqué ou du nombre de copies des pièces produites égal à celui des parties est régularisable soit spontanément soit après mise en demeure du juge de régulariser.
Usage d’une langue étrangère : En application de l’article 8-1 du code de procédure civile et administrative : « les procédures et actes judiciaires tels que les requêtes et mémoires doivent à peine d’irrecevabilité être présentés en langue arabe ». L’alinéa 2 du même article dispose que : « les documents et pièces doivent, à peine d’irrecevabilité être présentés en langue arabe ou accompagnés d’une traduction officielle ». Cette irrecevabilité n’est pas prononcée par le juge automatiquement mais est régularisable.Dans un arrêt, le Conseil d’Etat français a jugé que l’irrecevabilité tirée de la rédaction de la requête en langue étrangère ne peut être opposée à des conclusions que si le requérant, d'abord invité à régulariser sa requête par la production d'une traduction par une personne assermentée s'est abstenu de donner suite à cette invitation.
Requête collective : Comme déjà mentionné plus haut , la requête collective prend deux formes : la requête collective réelle qui définit le recours par une seule personne contre plusieurs décisions , et la requête collective personnelle qui définit le recours de plusieurs personnes contre une même décision.La présentation d’une requête collective est régularisable et ce en vertu de l’article 848 du code de procédure civile et administrative qui dispose que : « Lorsque la requête est entachée d’une irrecevabilité susceptible d’être couverte, le tribunal administratif ne peut la rejeter en relevant d’office cette irrecevabilité, qu’après avoir invité son auteur à la régulariser. ».
Une requête collective réelle ou personnelle n’est recevable que si les différentes conclusions de la requête présentent entre elles « un lien suffisant ». Mais si le tribunal est saisi par une requête collective personnelle ou matérielle et qu’il n’existe pas un lien suffisant soit entre les requérants, soit entre les décisions, le ou les requérants pourront régulariser leur recours, dans le délai fixé par le juge, en présentant autant de requêtes distinctes que nécessaire.
C’est dans ce sens qu’a statué le Conseil d’Etat français sur le recours formé par plusieurs requérants contre la délibération d'un jury refusant leur admission en troisième année de licence .Dans son arrêt en date du 30 mars 1973 arrêt n° 80717 il a jugé que : « Les conclusions d'une requête collective émanant de plusieurs requérants et dirigées contre plusieurs décisions sont recevables dans leur totalité si elles présentent entre elles un lien suffisant. L'irrecevabilité des conclusions insuffisamment liées à celles présentées par le requérant premier dénommé ne peut être retenue par le juge administratif que si les requérants, invités à régulariser leur pourvoi, se sont abstenus de donner suite à cette invitation dans le délai qui leur était imparti. En l'espèce, existence d'un lien suffisant entre les conclusions de la requête formée par deux candidats contre la délibération d'un jury refusant leur admission en troisième année de licence . Les conclusions d'une requête émanant d'un seul requérant et dirigée contre plusieurs décisions sont recevables dans leur totalité si elles présentent entre elles un lien suffisant. L'irrecevabilité des conclusions insuffisamment liées à celles dirigées contre la première des décisions attaquées ne peut être retenue par le juge administratif que si le requérant, invité à régulariser son pourvoi, s'est abstenu de donner suite à cette invitation dans le délai qui lui était imparti ».
apposition du timbre d’avocat : En cas d’omission d’apposition du timbre d’avocat en violation de l’article 2 du décret exécutif n° 18-185 du 10/07/2018, cette omission peut être régularisée soit spontanément soit après mise en demeure du juge.la régularisation intervient par le déplacement de l’avocat au greffe pour accomplir cette formalité.
Ainsi toutes les irrecevabilités mentionnées peuvent être régularisées soit spontanément par le requérant et à tout moment de la procédure sans que cette irrecevabilité ait été soulevée par la partie adverse, soit sur invitation du juge à régulariser dans un délai déterminé. La règle de régularisation des irrecevabilités définie à l’article 848 du code de procédure civile et administrative n’est par contre pas applicable devant le juge des référés (article 927 du CPCA).
Contrairement au juge civil , le juge administratif possède un pouvoir de régularisation d’office qui est méconnue dans le procès civil. Ainsi le juge administratif peut contourner une irrecevabilité d’ordre public en la régularisant sans intervention du requérant. Cette règle sera d’une grande utilité pour le justiciable qui aura recours au juge administratif sans assistance d’un avocat comme le permet désormais la loi.Ainsi lorsque les conclusions du requérant sont formulés de façon ambigüe ou imprécise , le juge administratif peut procéder d’office à leur interprétation ou leur requalification et leur restituer leur véritable sens en se référant à l’argumentation de la demande ou aux pièces du dossier . Il s’agit ici d’une régularisation implicite .
L’article 840 du code de procédure civile et administrative dispose que les demandes de régularisation émanant le juge administratif sont notifiés par lettre recommandée avec accusé de réception .En application de la nouvelle formulation de l’article 840 introduite par la loi du 12 juillet 2022 , les actes et mesures d’instruction sont notifiés aux parties par tous les moyens légaux disponibles y compris les moyens électroniques .
Il est d’usage dans certains tribunaux administratifs de notifier les demandes de régularisation aux parties par l’envoi d’un simple SMS . Si ce mode de notification , qu’il s’agisse d’un SMS ou d’un Courriel est désormais légal , se pose par contre la question de leur fiabilité. En l’absence d’un système centralisé pour le traitement automatisé des données informatiques relatives à l'activité des juridictions qui seul pourrait authentifier la réalité de la réception par le destinataire de la demande de régularisation, il sera impossible de prouver que le destinataire du SMS a bien reçu une telle demande , ce qui par conséquent entrainera en cas d’appel ou de pourvoi en cassation la nullité de cette notification donc la nullité du jugement ou de l’arrêt .Pour éviter cette nullité , le greffier de la juridiction doit demander au requérant destinataire de la demande de régularisation de lui adresser un courrier ou un mémoire portant sa signature et reprenant les éléments du SMS ou du Courriel.
BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour
brahimimohamed54@gmail.com