Suite aux plaintes déposées par certains étudiants escroqués , une enquête a été ouverte par la brigade centrale de lutte contre les crimes ainsi que la brigade criminelle .Présentés devant le procureur de la République du tribunal de Dar El Beida , les mis en cause au nombre de 14 dont 4 influenceurs ont été déférés devant le juge d’instruction des chefs de crime et délits de traite de personnes , d’association de malfaiteurs en bande organisée, d’escroquerie et de violation de la législation relative aux mouvements de fonds vers et depuis l’étranger. Après auditions et interrogatoires des victimes et des mis en cause , le juge d’instruction a décerné des mandats de dépôt contre 11 personnes dont 3 influenceurs et alors que 3 autres ont été mis sous contrôle judiciaire.
Si la responsabilité pénale de la société et de ses dirigeants, qui ont sciemment induit en erreur leurs clients en leur faisant croire à une prise en charge complète de leur cursus universitaire qui s’est avéré par la suite être un leurre et un mensonge est complètement engagée, la responsabilité des influenceurs dans ce genre d’affaires soulève certains questionnement complexes d’autant plus qu’aucune loi ou règlement ne régit le statut de l’influenceur et encore moins ne précise ses droits et obligations en matière de publicité ou d’intervention dans la sphère commerciale.
La question juridique que soulève ce genre d’affaires est de savoir si l’influenceur qui a participé à la promotion ou à la campagne publicitaire d’un service ou d’un produit peut être tenu pour responsable pénalement ou civilement si ultérieurement, il s’avère que ce service ou ce produit est interdit ou mensonger.Il es indéniable que l’influenceur qui offre ses services pour faire la promotion ou la publicité d’un service ne peut le faire en totale liberté et en toute impunité , mais il doit le faire dans le cadre des lois et règlements appliqués sans distinction à certaines activités notamment la loi sur les pratiques commerciales et la loi sur la protection du consommateur.
Que recouvre le vocable « d’influenceur » ? Un influenceur ou blogueur ou vlogueur est définit comme étant la personne exprimant un point de vue ou donnant des conseils (par écrit, audio et/ou visuel) dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie.Telle est la définition proposée par l’Autorité française de régulation professionnelle de publicité. L’influenceur est donc une personne qui utilise un réseau social (Instagram , Facebook, Twitter,Tic Toc, Snapchat, ou encore Youtube) qui, au vu du grand nombre de ses followers ( les personnes abonnés qui le suivent) lui permet d’avoir un fort pouvoir de suggestion sur les consommateurs.
Le métier d’influenceur n’est pas encore réglementé en Algerie et beaucoup d’incertitudes persistent sur son satut juridique et ce alors même que la jurisprudence nationale en ce domaine est quasiment inexistante. Aussi il revient à l’influenceur qui veut vivre de ce métier de s’entourer des garanties à même de le préserver d’éventuelles poursuites judiciaires aussi bien au civil qu’au pénal.
Si effectivement il n’existe pas de loi ou de réglementation spécifique à l’activité d’influenceur , et alors que la publicité elle-même n’est pas encore réglementée , il n’en demeure pas moins qu’il existe des lois sanctionnant les activités illégales ou illicites applicables sans distinction aux actes propres à l’influenceur.
Tout d’abord il est incontestable que le contenu diffusé par l’influenceur doit éviter entre autres de heurter la sensibilité du public au travers de représentations dégradantes ou humiliantes, ou de dévaloriser une personne ou encore de cautionner ou encourager ou faire l’apologie d’actes pénalement punissables.Ainsi l’atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne morale ou physique émanant d’une communication publicitaire diffusée ou relayée par un influenceur peut être sanctionnée sur le terrain de la diffamation ou de l’injure , passible d’une peine d’une année de prison et de 100 000,00 DA d’amende en vertu des articles 296 à 299 du code pénal.
En acceptant d’être un relais de communication pour un une entreprise ou une marque, l’influenceur peut devenir une source de polémique ou de rumeurs nuisibles ou même acteur dans une procédure pénale ou civile.Bien qu’en principe les influenceurs ne sont pas tenus responsables des agissements punissables d’une marque ou du client donneur d’ordre , ils doivent prendre conscience de l’étendue de leur responsabilité juridique.
Tout d’abord quand un influenceur collabore avec une entreprise ou une marque visant à la promotion des produits ou services, il doit prendre conscience que d’une part il s’agit de publicité via un moyen de communication électronique , et d’autre part qu’il s’agit d’un acte commercial du moment qu’il perçoit une rémunération. De cette situation découle le fait que d’une part, l’influenceur est assujetti à des obligations fiscales, et d’autre part il doit respecter les pratiques commerciales telles que prévues par la loi.Il doit entre autres rendre identifiable l’entité pour le compte de laquelle une communication commerciale est mise en œuvre , préciser qu’il s’agit de publicité et non pas d’une expérience personnelle et enfin éviter les actes de concurrence déloyale ou de parasitisme.
Les réseaux sociaux via lesquels interagissent les influenceurs sont généralement fréquentés par un jeune public donc facilement influençables, aussi les contenus diffusés par ces professionnels peuvent aisément altérer le comportement du consommateur et de ce fait ces contenus seront appréhendés en cas de contentieux au regard de la législation y afférente en l’occurrence la loi n° 04-02 du 23 juin 2004 fixant les règles applicables aux pratiques commerciales et la loi n° 09-03 du 25 février 2009 relative à la protection du consommateur et à la repression des fraudes . Aussi, les influenceurs ont tout intérêt à se tenir avertis du régime de responsabilité applicable à leur activité.
Etant un professionnel , dès lors qu’il exerce son activité de façon régulière et qu’il en tire des revenus qui peuvent provenir soit de la régie publicitaire de Google et de son programme Google Adsense, soit encore d’annonceurs pour lesquels il aura prêté son image en publiant des « posts », des « Instastories », ou des vidéos de placement de produits,L’influenceur et de par cette qualité de professionnel se voit aussi appliquer la loi n° 03-03 du 19 juillet 2003 relative à la concurrence, et est ainsi tenu responsable du contenu qu’il diffuse au public, dont il répond juridiquement. Il est donc important pour l’influenceur d’être transparent et de rédiger un contrat clair et détaillé avec la marque ou l’annonceur pour le compte de qui il agit.
Au regard de ces éléments, les influenceurs mis en cause dans l’affaire des étudiants escroqués sont-ils pénalement responsables des faits qui leur sont reprochés , et au vu des déclarations des uns et des autres, les infractions en vertu desquelles ils ont été poursuivis et mis en détention provisoire sont-ils fondés en droit ? le défèrement de ces influenceurs devant le juge d’instruction et leur placement en détention provisoire ne signifie nullement à ce stade de la procédure qu’ils sont coupables car seule la juridiction de jugement est apte à se prononcer sur cette question. Mais au-delà de ces réserves, il peut y avoir effectivement débat sur la pertinence juridique des infractions telles que formulées dans l’acte d’accusation.
Les faits matériels tels que rapportés par diverses sources se résument dans la conception et la diffusion par ces influenceurs de messages publicitaires faisant l’apologie de l’offre d’une société qui proposait aux étudiants une prise en charge pour poursuivre des études et un hébergement dans des universités et campus étrangers , une offre qui s’est avérée par la suite être mensongère. Dans cette affaire, l’auteur principal est la société pour le compte de laquelle ces influenceurs ont mis en œuvre le message publicitaire ,mais pour autant cela ne veut pas dire que ces influenceurs qui ont créé et diffusé ce message sont à l’abri de toute sanction. Juridiquement, pour que ces influenceurs soient eux aussi tenus responsables des dommages causées aux étudiants , il faudrait qu’ils aient agit en connaissance de cause c’est à dire qu’ils savaient qu’ils violaient la loi en cautionnant une escroquerie : C’est là l’élément moral de l’infraction qui en son absence absout son auteur.
Les mis en cause sont poursuivis pour 4 infractions : traite des personnes , association de malfaiteurs en bande organisée , escroquerie et violation de la législation relative aux mouvements de fonds vers et depuis l’étranger. Devant la juridiction appelée à juger cette affaire, la première question à laquelle doit répondre les juges est celle de savoir si les influenceurs poursuivis en tant que complices ou co-auteurs connaissaient les agissements illicites du donneur d’ordre à l’émission du message publicitaire en l’occurrence le responsable de la société, ou au contraire ces derniers ont agit de bonne foi et sans aucune intention criminelle. Si la réponse à la deuxième question est positive, la relaxe ou l’acquittement s’imposent.
Dans des vidéos diffusées par ces influenceurs après leur mise en cause , ils ont catégoriquement nié être au courant des agissements du responsable de la société qui les a sollicité et ont affirmé qu’ils étaient de bonne foi . Il revient donc au ministère public et à l’instruction d’apporter la preuve contraire. Mais en tout état de cause et même à considérer que ces influenceurs ont participé à la diffusion du message publicitaire en sachant sa fausseté, ce fait constitue-il une infraction pénale ? Et si la réponse est positive quelle en est l’incrimination et la disposition pénale applicable ? Il est indéniable que le crime de traite des personnes telle que définie par l’article 303 bis 5 du code pénal n’est pas constituée dans le cas d’espèce du moment que l’acte réprimé par cette disposition est l’acte qui consiste à obtenir le consentement d’une personne aux fins d’exploitation ce qui n’est pas le cas. Il en est de même pour le délit d’association de malfaiteurs du moment que l’acte perpétré par les intéressés a consisté en la diffusion d’un message publicitaire et n’ont nullement participés aux actes préparatoires de cette infraction. Pour l’infraction à la législation des changes , encore faut-il prouver que les intéressés y ont personnellement participé. Reste l’infraction d’escroquerie qui n’est constitué qu’en cas d’utilisation de manœuvres frauduleuses ce qui reste aussi à prouver.
En définitive, les poursuites auraient pu être engagées sur le terrain de la responsabilité des influenceurs pour diffusion de contenus illicite sur des réseaux sociaux. Il s’agira alors d’infractions qui relèvent de la législation relative aux pratiques commerciales et à la protection des consommateurs en l’occurrence les deux lois susmentionnés. En conséquence , s’il s’avère que les influenceurs mis en cause connaissaient la fausseté du message publicitaire diffusé au profit de la société qui les a rémunérée, ils auraient dû être poursuivis pour le seul délit de publicité illicite fait prévu et puni d’une amende de 50 000,00 DA à 5 000 000,00 DA par les articles 28 et 38 de la loi du 23 juin 2004 susmentionnée .Dans tous les cas de figure, il est évident que les étudiants escroqués ont droit à la restitution de toutes les sommes versées à la société ainsi qu’à des dommages et intérêts en réparation des préjudices causés.
En conclusion, cette affaire a mis en lumière ,d’une part l’inexistence d’une législation qui régit la publicité dans les différents organes de presse écrite , audiovisuelle ou électronique,et d’autre part l’inexistence d’un statut juridique spécifique aux influenceurs qui de plus en plus deviennent des professionnels du marketing et des relais de communication. Il est aussi vrai qu’en Algérie et vu l’inexpérience des influenceurs en majorité très jeunes et manquant de formation en matière de management, il n’est pas étonnant que ces derniers commettent des erreurs fatales souvent de bonne foi , dès lors qu’ils ont affaire a à des donneurs d’ordre peu scrupuleux.
Maitre BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour de Bouira
brahimimohamed54@gmail.com