Les deux lois font suite à la polémique suscitée par des déclarations d’anciens officiers généraux de l’armée en retraite dont les propos ont été perçus par les autorités comme portant atteinte aux institutions de l’Etat .Ces deux lois prévoient d’une part des poursuites pénales pour diffamation et outrage , et d’autre part des sanctions administratives de retrait de la médaille d’honneur ou de la rétrogradation dans le grade.
Quel est le champ d’application de ces deux lois et quelles sont les conditions posées par les nouvelles dispositions législatives susceptibles de provoquer des poursuites pénales ou administratives conte le militaire indélicat ?
Après avoir posé le principe que : « le militaire de carrière admis à cesser définitivement son activité au sein de l’armée et versé dans la réserve exerce librement les droits et libertés que lui confèrent les lois de la République » , la loi n° 16-05 astreint ce militaire à un devoir de retenue et de réserve ( article 15 bis alinéa 1).La violation de ce devoir peut donner lieu à de sanctions pénales ou administratives .Ainsi et en application de l’article 15 bis alinéa 2 de cette loi : « tout manquement au devoir de nature à porter atteinte à l’honneur et au respect dus aux institutions de l’Etat, constitue un outrage et une diffamation et peut faire l’objet , à l’initiative des autorités publiques de plainte ou de retrait de la médaille d’honneur » .Quant au manquement grave au devoir de retenue et de réserve qui ne constituerait pas une diffamation ou un outrage il fait encourir au miliaire ayant cessé son activité la rétrogradation dans le grade » ( article 15 ter).
Si la loi n° 16-05 est applicable aux officiers de carrière ayant cessé définitivement leur activité et versés dans la réserve , la loi n° 16-06 qui prévoit des sanctions similaires s’applique à tous les militaires sans exception. Après avoir posé le principe que « le miliaire est tenu à l’obligation de réserve en tout lieu et en toute circonstance » ( article 24 alinéa 1), la loi n° 16-06 dispose que : « après cessation définitive d’activité,le militaire reste astreint au devoir de retenue et de réserve et tout manquement à ce devoir de nature à porter atteinte à l’honneur et au respect dus aux institutions de l’Etat peut faire l’objet de plainte ou de la rétrogradation dans le grade »( article 24 alinéa 2 et 3).
L’article 15 bis de la loi n° 16-05 considère comme diffamation et outrage « tout manquement au devoir de nature à porter atteinte à l’honneur et au respect dus aux institutions de l’Etat ».Que signifie cette dernière expression et quels sont les éléments constitutifs des deux infractions ?Tout d’abord le législateur ne distingue pas la diffamation et l’outrage et les considèrent comme étant une même infraction puisqu’ il parle d’« outrage et diffamation » au lieu de « outrage ou diffamation ».Juridiquement la diffamation se distingue nettement de l’outrage tant du point de vue de leurs éléments constitutifs que de leurs sanctions.
En vérité, les deux lois suscitées n’ont pas innové et ne sont qu’une reprise des deux infractions de diffamation et d’outrage du code pénal.la seule précision apportée par ces deux textes tient au fait qu’ils mentionnent expressément les militaires en tant que potentiels auteurs de ces infractions.Tous les faits susceptible d’être qualifiés de diffamation ou d’outrage tels que prévus par les deux lois font partie du dispositif répressif prévu par le code pénal.Les sanctions encourues sont celles prévues par ce même code et même les sanctions administratives prévues par les deux lois à l’exception de la rétrogradation dans le grade sont mentionnées dans le code pénal puisque ce dernier permet le prononcé d’une peine complémentaire de privation du droit de porter toute décoration ( article 9 bis 1 – 2°).
Ceci étant quels sont les éléments constitutifs des deux infractions de diffamation et d’outrage tels que prévus par les deux lois ?
Est considéré comme outrage et diffamation par l’article 15 bis de la loin n° 16-06 et l’article 24 de la loi n° 16-06 : « tout manquement au devoir de nature à porter atteinte à l’honneur et au respect dus aux institutions de l’Etat ». Pour être sanctionné le fait allégué doit donc comporté des écrits ou des propos qui portent atteinte à l’honneur et au respect dus aux institutions de l’Etat c'est-à-dire des propos ou des écrits qui porte atteint à la considération et à la dignité de l’institution visée.Les deux textes visent « les institutions de l’Etat » ce qui englobent non seulement l’institution militaire mais aussi toute institution publique dans son acception juridique en l’occurrence l’ensemble des organismes et des mécanismes du pouvoir existants dans une société, c’est-à-dire aussi bien les institutions administratives que les institutions politiques.
Les deux lois ne mentionnent aucune sanction spéciale du fait de diffamation ou d’outrage envers une institution de l’Etat et ne parlent que de « plainte auprès des juridictions compétentes » ce qui implique que la sanction est celle prévue par le code pénale c'est-à-dire celle de l’article 146.L’outrage ou l’offense au Président de la République est prévu par un autre texte , l’article 144 bis du code pénal qui punit l’infraction d’une simple amende.
Les deux lois s’étant contentées de préciser un seul élément constitutif des infraction de diffamation et d’outrage en l’occurrence l’élément d ’atteinte à l’honneur et au respect dus aux institutions de l’Etat, les autres élément de ces deux infractions sont ceux appliquées par la doctrine et la jurisprudence.Le fait diffamatoire ou outrageant doit comme nous l’avons dit concerner « une institution de l’Etat ».Si le fait allégué porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’un membre de l’institution de l’Etat et non pas à l’institution elle-même par exemple un fait portant atteinte à un officier de l’armée, les dispositions des deux lois ne sont pas applicables car dans ce cas il s’agira de l’infraction d’outrage à un commandant prévu et puni par l’article 144 du code pénal.
L’intention coupable est un élément constitutif de l’nfraction.L’auteur du message ou du propos diffamatoire ou outrageant doit avoir conscience qu’il porte atteinte à l’honneur ou à la considération de l’institution de l’Etat . Ni les nouveaux articles 15 bis et 24 ni l’article 296 du code pénal ne font référence à l’intention du coupable du fait de diffamation ou d’outrage .Est-ce à dire que la mauvaise foi n’est pas présumée ? Eu égard à la nature de l’infraction de diffamation ou d’outrage , la doctrine et la jurisprudence tendent en général vers l’existence surtout pour le fait diffamatoire d’une mauvaise foi du fait de la nature même du propos ou de l’écrit par lequel se révèle le délit.Mais Pour autant, la présomption de mauvaise foi n’est pas absolue et il est permis au prévenu d’établir sa bonne foi .
Les deux infraction d’outrage ou de diffamation des articles 15 bis et 24 supposent t-elles l’existence de l’élément de publicité .L’article 296 du code pénal qui régit la diffamation exige cette condition puisqu’il parle de :« publication directe ou par voie de reproduction ».En l’absence de publicité,le délit de diffamation dégénère en contravention.Mais au vu de la rédaction des articles 15 bis et 24,le délit est constitué même si le propos ou le message offensant ou outrageant n’a pas été publié ou diffusé.
En définitive , les réactions négatives et quelquefois intempestives suscitées par ces deux lois ne sont pas justifiées du fait que ces dernières ne font que reprendre des dispositions qui existent déjà dans le code pénal.Meme en l’absence de ces deux lois , il était toujours loisible au ministère public d’engager des poursuites non seulement contre tout militaire ayant cessé son activité et versé dans la réserve mais contre toute autre personne pour faits de diffamation ou d’outrage à une institution de l’Etat en se referant au seul code pénale.La seule exigence de la loi pour autoriser ces poursuites est que le propos tenu ou le message diffusé constitue « une atteinte à l’honneur ou au respect dus aux institution de l’Etat ».A défaut de ce dernier élément, nul ne peut être poursuive fut-il un militaire de carrière encore plus s’il est un militaire qui a cessé son activité et versé dans la réserve. Aussi ces deux lois sont effectivement superfétatoires.
Devant un tribunal, le juge ne condamnera le militaire de carrière admis à cesser définitivement son activité au sein de l’armée et versé dans la réserve poursuivi pour outrage ou diffamation envers une institution de l’Etat aussi bien en vertu des dispositions des deux lois du 3 août 2916 que des dispositions du code pénal que si le ministère public prouve que les faits,les propos ou le message dont est accusé le prévenu ont véritablement porté atteinte à l’honneur ou au respect dus à une institution de l’Etat. Le juge aura en tête en premier lieu et sans aucun préjugé le principe d’ordre constitutionnel posé par l’article 15 bis de la loi n° 16-05 selon lequel le militaire de carrière admis à cesser définitivement son activité au sein de l’armée et versé dans la réserve « exerce librement ses droits et libertés que lui confèrent les lois de la république ».Le militaire reste donc libre de s’exprimer comme n’importe quel citoyen et comme tout citoyen il est seulement astreint à éviter de porter atteinte par des propos diffamatoires ou outrageant à une institution de l’Etat. En l’absence de ce dernier élément, il n’y a pas d’infraction d’outrage ou de diffamation et le juge ne pourra que relaxer le prévenu s’il est traduit devant le tribunal.
Maitre M.BRAHIMI
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