Cette source expliqua d’emblée que la procédure de poursuite de cet officier- général a été diligentée en application du code de justice militaire dont relève ce justiciable et non pas sur la base du seul code de procédure pénale .En outre elle releva que le mis en cause étant un officier supérieur dont le grade est supérieur à celui de capitaine il bénéficie du privilège de juridiction en application de l’article 30 du code de justice militaire, c’est à dire qu’il ne peut pas être jugé par le tribunal de Blida dont relève la région militaire où il exerce, mais il doit l’être par un autre tribunal militaire situé dans une autre région militaire.En conséquence il n’ya pas lieu suivant cette source de respecter les délais de 48 heures puisque le procureur de la république de Blida n’est pas compétent Il faudrait donc suivante cette source attendre la désignation du tribunal militaire compétent pour que le mis en cause soit entendu par un juge d’instruction militaire et qu’il pourrait alors choisir un avocat.
Cette cacophonie procédurale n’est pas étonnante car il est de notoriété que les dispositions de code de justice militaire qui s’imbriquent avec celles du code de procédure pénale peuvent prêter à confusion.Le code de justice militaire qui comprend quelque 336 articles ayant précisé certaines procédures traitées déjà par le code de procédure pénale , ce sont les dispositions de ce code spécial qui sont applicables.Aussi les observations faites par cette source sont plus pertinentes bien qu’elles contiennent certaines imprécisions comme nous le verrons.
Le tribunal militaire est de création relativement ancienne puisque son existence remonte à l’année 1971.C’est l’ordonnance n° 71-28 du22 avril 1971 portant code de justice militaire ( journal officiel n° 38 du 11 mai 1971) qui dans son article 4 a créé les tribunaux militaires permanents qui sont au nombre de 6 implantés au chef lieu des 6 régions militaires ( Blida,Oran,Bechar,Ouargla,Constantine et Tamanrasset).L’organisation et le fonctionnement de ces tribunaux militaires ainsi que la procédure pénale qui leur est applicable sont régis par l’ordonnance susmentionnée .
Composé d’un président qui est un civil ayant le grade de conseiller à la cour et de deux assesseurs militaires , le tribunal militaire est comme son nom l’indique compétent pour juger les infractions spéciales d’ordre militaire commises par les militaires ainsi que leurs coauteurs et complices.Le tribunal militaire était aussi compétent pour juger les civils poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’Etat avant que cette compétence ne soit transférée en 1975 à la Cour de sûreté de l’Etat puis carrément transférée en 1989 au tribunal criminel de droit commun .La composition du tribunal militaire diffère suivant la qualité du prévenu .Si le prévenu est un simple soldat ou un sous-officier,l’un des assesseurs du tribunal militaire est un sous-officier mais s’il est officier,les assesseurs sont officiers au moins du même grade que le prévenu.Comme c’est le cas devant le tribunal de droit commun, il existe devant le tribunal militaire un procureur militaire de la République et un ou plusieurs juges d’instruction.
L’action publique en matière d’infractions militaire relevant du tribunal militaire est mise en mouvement par le ministre de la défense , mais ce droit peut aussi être exercé par le procureur militaire de la République mais sous l’autorité du ministre de la défense (article 67 du CJM).Si le ministre de la défense décide d’engager des poursuites ,il délivre un ordre de poursuite qu’il adresse au procureur militaire de la République près le tribunal militaire compétent.
L’enquête préliminaire ou de flagrance est diligentée par les officiers de police judiciaire militaire .Comme c’est le cas pour les enquêtes et l’instruction de droit commun,la procédure est d’une façon générale celle prévue par le code de procédure pénale.Mais des dispositions particulières sont applicables notamment en matière de garde à vue.Les délais de garde à vue pour les nécessités de l’enquête préliminaire ne sont pas de 48 heures comme c’est le cas en droit commun mais de trois jours qui peuvent être prolongés de 48 heures par décision du procureur militaire de le République , mais ils sont doublés quand il s’agit d’atteinte à la sûreté de l’Etat.Il en est de même en cas de flagrant délit.A l’expiration de ces délais les militaires arrêtés doivent être mis en route pour être présenté devant le procureur militaire de la République .
Concernant les garanties reconnues à la personne gardée à vue , l’article 61 du code de justice militaire stipule expressément que les formalités prescrites par les articles 52 et 53 du code de procédure pénale sont applicables. Ces formalités prévues par le code de procédure pénale dont l’efficacité a été récemment renforcée par l’ordonnance n° 15-02 du 23 juillet 2015 ont trait à l’obligation faite à l’officier de police judicaire de mentionner sur le procès-verbal d’audition de la personne gardée à vue , la durée des interrogatoires , les motifs de cette garde à vue ainsi que le droit d’être examiné par un medecin.Quid des nouvelles dispositions de l’article 51 bis 1 introduites par cette ordonnance et relatives au droit la personne gardée à vue à l’assistance d’un avocat durant la garde à vue ?
Les articles 51 bis et 51 bis 1 nouveaux du code de procédure pénale autorisent désormais la personne gardée à vue dans les locaux de la police judiciaire à contacter un avocat dès la première heure de sa garde à vue et si cette garde à vue est prolongée , elle pourra même recevoir la visite de l’avocat et s’entretenir avec lui.Ces nouvelles dispositions sont-elles applicable devant la juridiction militaire ?Apparemment non et ceci pour la simple raison que l’article 61 du code de justice militaire ne fait référence qu’aux articles 52 et 53 du code de procédure pénale à l’exclusion des autres articles qui traitent de la garde à vue .D’autre part l’assistance d’un avocat devant le tribunal militaire est régi par des dispositions spéciales .Conformément à l’article 18 du code de justice militaire, et s’il s’agit d’affaires relatives aux infractions spéciales d’ordre militaire, l’avocat choisi par 1'inculpé ne peut assister, défendre ou représenter ce dernier, tant au cours de 1'instruction qu'a 1'audience, que s'il y a été autorisé par le président du tribunal militaire saisi.
Une fois l’enquête préliminaire ou de flagrance clôturé,les procès-verbaux dressés par l’officier de police judicaire sont transmis avec les actes et documents annexes au procureur militaire de le République territorialement compétent et il reviendra à ce dernier d’apprécier s’il y a lieu ou non d’engager des poursuites .Il pourra dès lors comme c’est le cas devant la juridiction de droit commun soit ordonner l’ouverture d’une information qui sera diligentée par le juge d’instruction s’il s’agit d’un crime ou d’un délit ou d’une contravention dont il estime qu’une information est nécessaire ,soit il ordonne la traduction directe de l’auteur de l’infraction devant le tribunal militaire.S’il ordonne la traduction directe devant le tribunal il peut décerner un mandat de dépôt.
Le juge d’instruction militaire instruit ses dossier pratiquement dans les mêmes termes et formalités que ceux applicables devant le juge d’instruction de droit commun , mais dans tous les cas il est fait application des dispositions du code de justice militaire et non celles du code de procédure pénale .Les appels et requêtes en rapport avec l’instruction qui en droit commun sont portés devant la chambre d’accusation de la cour , relève devant la justice militaire du tribunal militaire lui-même faisant office de chambre d’accusation.
Des règles spécifiques notamment au niveau de la procédure du prononcé du jugement sont applicables devant les tribunaux militaires. La décision du tribunal militaire , qu’il s’agisse d’un crime ou d’un délit , est rendue suivant la procédure suivie devant le tribunal criminel de droit commun c'est-à-dire par la lecture des questions sur la culpabilité et un vote.En conséquence de ce système de lecture des questions ,le jugement rendu n’est jamais motivé sauf si le tribunal à eu à se prononcer sur la question de compétence ou sur des incidents.Le jugement rendu n’est pas susceptible d’appel mais peut être attaqué par la voie du pourvoi en cassation devant la Cour suprême.S’il a été rendu par défaut ,le jugement est susceptible d’opposition.
Pour revenir à l’affaire de l’officier-général traduit devant le tribunal de Blida ,un tribunal qui relève de la région miliaire où exerce cet officier, et au regard des règles de procédure sus évoquées, il est indéniable qu’au vu de son grade de général , sa poursuite et son jugement devraient relever d’un tribunal militaire autre que celui de Blida .Si ce militaire a commis une infraction qualifié crime ou délit puni d’emprisonnement ,la combinaison des articles 30,57 et 60 du code de justice militaire auraient voulu qu’après une garde à vue qui ne pourrait dépasser 03 jours sauf prolongation par le procureur militaire de la République , l’intéressé aurait dû être mis en route pour être présenté devant le procureur militaire de la République d’un autre tribunal miliaire qui décidera soit de le faire juger en l’état suivant la procédure de traduction directe avec décernement d’un mandat de dépôt ou non , soit être déféré devant le juge d’instruction à qui il reviendra de décider de sa mise en detention.Dans tous les cas, la décision de désignation du tribunal compétent relève du ministre de la défense .
La désignation d’un autre tribunal autre que celui de la région militaire où exerce le militaire mis en cause est-elle d’ordre public ? En d’autres termes le non respect de cette formalité peut-elle entraîner la nullité des poursuites ?Il y a lieu ici de faire une distinction.Si le mis en cause est renvoyé devant le tribunal militaire pour y être jugé suite à un une traduction directe ou par renvoi du juge d’instruction, ce renvoi serait entaché du vice d’incompétence et le tribunal saisi peut d’office sanctionner ce vice en se déclarant incompétant .Mais si le dossier est toujours au niveau de l’enquête préliminaire ou de l’instruction il y a lieu d’appliquer l’article 581du code de procédure pénale qui stipule que :« jusqu'à la désignation de la juridiction compétente,la procédure est suivie conformément aux règles de compétence de droit commun ».Cette règle est confortée par l’article 38 du code de justice militaire qui régit une procédure similaire et qui énonce expressément que , « l’ordre de poursuite ainsi que les actes d’instruction ou de procédure précédemment effectués demeurent valables ».
Le procureur militaire de la République et le juge d’instruction du tribunal miliaire de la région militaire où exerce l’officier bénéficiant du privilège de juridiction demeurent donc compétent jusqu’ à ce que la décision du ministre de la défense désignant le tribunal compétent soit rendue .Jusque là aucune nullité ne peut être soulevée ni sanctionnée.Les actes de poursuite pris par le procureur militaire de la République de Blida tant qu’ils ne tendent pas à faire juger l’intéressé par le tribunal militaire de Blida ne sont pas des actes nuls mais bel et bien conformes à la loi.En outre,l’officier ayant été présenté au procureur militaire de la République, qui est un magistrat et non un officier de police judicaire ,il n’y a pas lieu de parler de garde à vue , cette dernière ayant pris fin par cette presentation.Seule la période pendant laquelle l’intéressé a été gardé à vue par l’officier de police judicaire peut faire l’objet d’un recours au cas où cette dernière aurait dépassée la durée légale ou si les formalités prévues pour la garde à vue n’ont pas été respectées.
Maitre M.BRAHIMI
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