Ce texte de loi, apparu dans un contexte national délétère et instable, a suscité de nombreuses réactions qui dans leur majorité interpellent le concepteur de cet avant projet de loi sur sa pertinence juridique et constitutionnelle.Qu’en est-il exactement ? Déchoir un algérien de sa nationalité est-il juridiquement fondé ? Faire d’un algérien un apatride quant bien même il commet de graves infractions pénales est-il conforme à la Constitution et aux différents instruments juridiques internationaux ?
Pour répondre à ce questions, il y a lieu tout d’abord de mentionner que tous les pays possèdent une législation qui prévoit la déchéance de la nationalité. Le code de la nationalité algérienne en vigueur depuis 1970 contient déjà plusieurs dispositions qui autorisent la déchéance de la nationalité algérienne acquise. Le problème ne se situe pas à ce niveau sachant que même les conventions internationales autorisent sous certaines conditions la déchéance de la nationalité. Le problème est que l’avant projet de loi projette le principe de la déchéance de la nationalité d’un ressortissant algérien dans une dimension que peu de pays ont transgressé : celle de la déchéance de la nationalité d’origine.
La règle universellement admise y compis par les conventions internationales est que seuls les ressortissants ayant acquis la nationalité autrement que par le lien du sang ou ayant une double nationalité peuvent être déchus de leur nationalité.Mais dans tous les cas de figure la déchéance de la nationalité ne doit pas déboucher sur l’apatridie , c’est un principe expressément inséré dans l’article 8 de la Convention internationale sur la réduction des cas d’apatridie adoptée le 30 août 1961 qui complète les dispositions de la Convention de New-York de 1954 relative au statut des apatrides.Si l’Algérie n’a pas encore ratifié la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie , elle a par contre ratifié la Convention de New-York de 1954.De ce seul fait, elle est tenue d’éviter que la loi sur la nationalité contienne des dispositions sur la déchéance qui ferait du déchu un apatride. En outre et en vertu de l’article 11 de la Constitution de 1963, L’Algérie a aussi adhéré à Déclaration Universelle des Droits de l’Homme , déclaration publiée sur le site du ministère des affaires étrangères .L’article 15 de cette Déclaration dispose expressément que « tout individu a droit à une nationalité » et que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité ».
Le nouveau projet de loi est on s’en doute en porte à faux avec les conventions internationales auxquelles l’Algérie a adhéré .Une autre réserve à formuler à l’encontre des dispositions du nouveau projet de loi est que les cas susceptibles d’entrainer la déchéance de la nationalité y compris la nationalité d’origine sont vagues et anormalement étirés (exemple : actes portant volontairement de graves préjudices aux intérêts de l’Etat ou qui portent atteinte à l’unité nationale ) de telle sorte qu’ils permettent toutes sortes d’interprétations au point où une simple critique des actes du gouvernement à fortiori si elle émane d’un opposant politique peut être considérée comme entrant dans les cas énumérés. On peut comprendre à la rigueur qu’une personne soit déchue de sa nationalité même d’origine quitte à en faire un apatride s’il commet des actes matériels d’une gravité exceptionnelle à l’exemple de celui qui commet des attentats terroristes , mais cette sanction devrait être exclue pour tout autre comportement délictuel ou criminel , la condamnation pénale se suffisant à elle-même. Une loi qui autorise la déchéance de la nationalité y compris d’origine dans des termes vagues et généraux peut être suspectée à juste titre de viser la répression de la libre expression politique alors même que la Convention de 1961 , si elle n’interdit pas la déchéance de la nationalité d’origine, elle l’exclut pour les motifs politiques.
Dans un autre registre et puisque il s’agit d’un texte qui permet la déchéance de la nationalité sans distinction susceptible de rendre l’intéressé apatride, on peut s’interroger sur la pertinence de prévoir une telle procédure par le recours à la loi alors même que cette question qui touche un droit fondamental qui est le droit à la nationalité devrait être inscrit dans la Constitution. Ce projet de loi est d’autant plus malvenu qu’il est en contradiction avec l’esprit d’ouverture qui a caractérisé la reforme de la nationalité algérienne intervenue en 2005 qui a dépassé ses voisins en ce domaine et suscité l’admiration et ce en autorisant par exemple la transmission de la nationalité par les femmes, son acquisition par le mariage avec une algérienne ou en encore l’effet collectif de l’acquisition de la nationalité algérienne.
Si ce projet de loi est maintenu et promulgué tel quel sous forme d’ordonnance, il appartiendra à la future Assemblée Nationale d’en apprécier l’opportunité lors de son examen dans l’hypothèse où cette Assemblée est saisie par qui de droit en vertu de l’article 193 de la Constitution en l’occurrence par le Président de la République, le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale , le Premier ministre ou encore par quarante députés ou vingt-cinq membres du Conseil de la Nation, ce qui serait fastidieux et pas évident. La personne déchue de sa nationalité pourrait aussi utiliser les voies de recours contre la décision ( en principe un décret ) de déchéance ou encore saisir le Conseil constitutionnel par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité.
Le même débat sur la question de la déchéance de la nationalité a été suscité dans certains pays à l’image de la France ou des Etats-Unis .Suite aux attentats perpétrés en France en 1995 et en 2015 , le gouvernement français a tenté de faire passer par un amendement à la Constitution la possibilité de déchoir de leur nationalité les français de naissance puis ceux ayant une autre nationalité en cas de condamnation pour crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation ,mais tous ces projets ont avortés suite à la réticences des parlementaires à avaliser un tel amendement .Aux Etats-Unis , la Cour suprême a considéré dans un célèbre arrêt rendu le 31 mars 1958 que la déchéance de la nationalité quant bien même elle est prononcée comme peine complémentaire d’une infraction pénale est une forme de punition plus primitive encore que la torture en tant qu’elle détruit l’existence politique de l’individu , l’intéressé ayant perdu le droit d’avoir des droits et que par conséquent elle est contraire à la prohibition des traitements inhumains ou dégradants. C’est d’ailleurs ce précédent américain qui a suscité la Convention de New York d’août 1961 qui pose le principe qu’un Etat ne doit pas déchoir un citoyen de sa nationalité si cette privation doit le rendre apatride.
Maitre BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour de Bouira
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