Le report de l’élection présidentielle décidée par le Président en exercice dont le mandat expire le 18 avril 2019 alors que plusieurs candidats ont déposé leurs dossiers de candidature auprès du Conseil constitutionnel , et la décision de prolonger le mandat présidentiel en cours au-delà de son terme légal , sont-ils conformes à la constitution ? Et si comme ont conclu tous les spécialistes sur la question , la réponse est non, existe-t-il un recours contre ces décisions ?
Si une unanimité s’est dégagée quant à la non-constitutionnalité de la décision du report de l’élection présidentielle et de la prorogation du mandat présidentiel en cours après son expiration , il reste à déterminer les voies et moyens juridiques à même de censurer cette décision à supposer qu’une telle éventualité puisse être envisagée .
Si la décision du report de l’élection présidentielle avec maintien du Président en exercice après l’expiration de son mandat actuel a été prise et annoncée , un décret présidentiel officialisant cette décision devrait intervenir et sera publié au journal officiel . Ce décret annulera le décret présidentiel numéro 19-08 du 17 janvier 2019 portant convocation du corps électoral. Ce décret présidentiel peut-il être attaqué par un recours en annulation notamment par l’un des candidats à cette élection qui voit de fait sa candidature devenue sans objet au motif qu’il viole des dispositions constitutionnelles et législatives et qu’il est entaché d’excès de pouvoir ?S’agissant d’un décret présidentiel pris dans le cadre des actes préparatoires à l’élection présidentielle et par conséquent n’étant pas un acte de gouvernement insusceptible d’un recours, , il est évident que ce décret peut faire l’objet d’un recours en annulation mais la question qui se pose est celle relative à l’instance compétente pour statuer sur ce recours ? Le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’Etat ?
A ma connaissance ni le Conseil constitutionnel ni le Conseil d’Etat n’ont encore statué sur de tels recours. Il faudrait donc faire œuvre de jurisprudence si une telle situation se présente. Concernant tout d’abord la légalité du décret portant report de l’élection présidentielle , une ébauche de solution pourrait être inspiré des dispositions légales et réglementaires en vigueur qui fixent les modalités de contestations de régularité des opérations de vote relatives à l’élection présidentielle notamment les dispositions de la loi organique n° 16-10 du 25 août 2016 relative au régime électoral qui dispose dans son article 172 ce qui suit : « Tout candidat ou son représentant dûment habilité, dans le cas d’élections présidentielles, et tout électeur, dans le cas de référendum, ont le droit de contester la régularité des opérations de vote en faisant mentionner leur réclamation sur le procès-verbal de dépouillement disponible dans le bureau de vote. Le Conseil constitutionnel est saisi immédiatement de cette réclamation pour l’étudier. ».Les modalités d’application de cette disposition ont été définies par le décret exécutif n° 19-55 du 30 janvier2019 dont voici les termes :
- « Tout candidat ou son représentant, dûment mandaté, a le droit de contester la régularité des opérations de vote en faisant mentionner ses réclamations éventuelles sur le procès-verbal de dépouillement disponible au niveau du bureau de vote ».
- « Le Conseil constitutionnel est saisi immédiatement. La saisine doit comporter les mêmes informations relatives à la réclamation contenue dans le procès-verbal de dépouillement. La réclamation peut être accompagnée de tous moyens justificatifs probants. Elle s’effectue à la diligence et aux frais de son auteur ».
Il est évident que ces dispositions prévoient seulement un contrôle à posteriori des opérations électorales mais cette compétence reconnue au Conseil constitutionnel ne peut-elle pas être appliquée aux actes préparatoires à l’élection présidentielle c'est-à-dire aux actes administratifs ayant pour objet d’en préciser les modalités notamment au décret portant convocation du corps électoral et incidemment au décret portant annulation de ce décret ? On peut en douter et pencher plutôt vers la compétence classique du Conseil d’Etat telle que prévue l’article 901 du code de procédure civile et administrative qui dispose que le Conseil d’Etat connaît en premier et dernier ressort des recours en annulation ou en appréciation de la légalité formés contre les actes administratifs émanant des autorités administratives centrales. Cette compétence du Conseil d’Etat est d’autant plus logique que le Conseil constitutionnel n’a reçu de la loi électorale qu’une compétence de contrôle à posteriori des opérations électorales .En outre , l’intervention du Conseil d’Etat sera d’autant plus efficace et remplira plus sereinement son rôle de juge de l’excès de pouvoir du fait que le nouveau code de procédure civile et administrative lui reconnaît de larges attributions en matière de référé.
En l’absence de jurisprudence algérienne sur la question , il n’est pas impossible que le Conseil d’Etat algérien , s’il est saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre un tel décret présidentiel pourrait , à l’instar de son homologue français , décliner sa compétence au motif que ce décret constitue un acte préliminaire à l’élection présidentielle non détachable de l’opération électorale .Si tel sera le cas , cette compétence sera déplacée vers le Conseil constitutionnel qui devrait prendre acte du dessaisissement du Conseil d’Etat et statuer sur un tel recours.
Pour revenir au décret annulant le scrutin présidentiel et prorogeant le mandat actuel du président et aux décrets ultérieurs pris dans son sillage notamment le décret portant dissolution de la Haute instance indépendante de surveillance des élections ,il est évident qu’on se trouve devant un excès de pouvoir caractérisé du moment qu’il n’existe aucune disposition constitutionnelle ou législative qui confère au pouvoir exécutif de décider d’un tel report ou du maintien du président en exercice à l’expiration de son mandat. Si un recours est exercé contre ce décret il ne peut aboutir qu’à son annulation pour excès de pouvoir .
Il est incontestable que le report des élections et la décision de maintenir en exercice le président sortant est la conséquence des évènements qui se déroulent actuellement en Algérie et où la population qui manifeste en masse exige la non représentation de l’actuel président à un cinquième mandat accentué par la demande d’un changement de régime. Cette situation pré- révolutionnaire qui jusqu’à l’heure actuelle se déroule pacifiquement sans risque pour la stabilité et la sécurité de l’Etat ne justifie nullement du point de vue légal la prolongation du mandat présidentiel sur simple décision du pouvoir executif.En application de l’article 110 de la Constitution , seul l’état de guerre avec une puissance étranger peut justifier la prorogation de plein droit du mandat du Président dont le mandat vient à expiration . Un décret fut-il présidentiel qui contreviendrait à cette disposition constitutionnelle constituerait un acte entaché d’excès de pouvoir.
Le strict respect des règles constitutionnelles dans cette situation , du moment que le gouvernement lui-même considère que la poursuite du processus électoral est devenu impossible et que le Président en exercice ne peut plus exercer ses fonctions , aurait dû être soit une démission du chef de l’Etat soit déclarer son état d’empêchement . Dans les deux cas de figure , il ya lieu à l’application des dispositions de l’article 102 de la Constitution qui débouchera sur la désignation du Président du Conseil de la nation pour assumer la charge du chef de l’Etat pour une durée maximum de 90 jours au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées. Mais cette démission ou l’empêchement du chef de l’Etat étant intervenu dans un contexte exceptionnel où le peuple appelle à une refondation de l’Etat et des institutions, il sera conforme à la Constitution de designer durant la période transitoire de 90 jours une instance exécutive composée de personnalités choisies selon des modalités à arrêter par les forces politiques en présence qui prendra les décisions adéquates.
Par Maitre Mohamed BRAHIMI
Avocat à la cour