Pour la première fois et certainement au vu de la persistance des faiblesses de l’économie nationale qui peine à démarrer malgré des financements publics sans précédents dont ont bénéficiées les différentes entités administratives et économiques, la Cour des comptes s’est penchée sans aucun a priori ni concession sur la faible performance du secteur public marchand ( SPM). Il s’git ici de l’ensemble des fonds publics investis par l’Etat dans le secteur économique à travers les entreprises publiques économiques ( EPE) constituées en application de l’ordonnance n°01-04 du 20 août 2001 et de sociétés commerciales dans lesquelles l’Etat ou toute autre personne morale de droit public détient directement ou indirectement la majorité du capital social sachant qu’en vertu de l’article 3 de la même ordonnance les fonds publics investis par l’Etat ou toute autre personne morale de droit public sont constitués sous forme de parts sociales, d’actions, certificats d’investissements, titres participatifs ou toutes autres valeurs mobilière . le SPM ne couvre en conséquence que les valeurs mobilières détenues directement ou indirectement sous la forme juridique d’EPE, en excluant de son champ et les participations minoritaires détenues par l’Etat ou toute autre personne morale de droit public sur des entreprises autres que les EPE et la part sociale de l’Etat ou apport de l’Etat détenu dans les autres entités de droit public notamment les entreprises publiques à caractère industriel et commercial ( EPIC) qui bénéficient d’une dotation initiale de l’Etat .
Alors que les deux entités EPE et EPIC activent dans le domaine économique et commercial et sont soumises au droit commercial et à la tenue d’une comptabilité commerciale , la Cour des comptes s’est interrogée à juste titre sur la pertinence de distinguer entre ces deux formes juridiques (EPIC /EPE) et les raisons pour lesquelles les EPIC ont été écartées du champ de définition du secteur public marchand. Il est évident que cette dichotomie juridique ajoute une complication au système économique nationale .
D’emblée la Cour des comptes fait le constat alarmant que les objectifs assignés aux différents dispositifs de gestion et de supervision du SPM mis en place par l’Etat à travers l’institution d’organes chargés d’exercer le droit de propriété ou de gérer le portefeuille d’actions et de placements n’ont pas été pleinement atteint. En adéquation avec les observations des différents observateurs qui n’ont cessé d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur les effets néfastes du manque d’informations viables sur les différents indicateurs économiques , la Cour des comptes constate d’une part que la circulation de l’information économique et financière sur le SPM est faible et qu’au demeurant elle n’est pas exhaustive et n’est pas communiquée à son principal organe de gestion stratégique et de supervision à savoir le Conseil des participations de l’Etat , et que d’autre part le SPM dont la consistance et l’étendue ne sont pas déterminées d’une manière exhaustive et officielle présente de faibles performances économiques et financières en dépit du soutien financier conséquent de l’Etat à travers les assainissements financiers qui ont atteint pour la période allant de 2003 au premier trimestre 2019 le montant astronomique de 1 903 Mrds de DA sans compter le financement via les crédits bancaires à un taux bonifié qui ont atteint au 31 mars 2020 le montant non moins astronomique de 1 3972 Mrds de DA. .Plus grave, la Cour des comptes a eu du mal à exercer pleinement son contrôle en raison de l’absence d’une liste exhaustive officielle des EPE ou de leur matrice ainsi que d’une banque de données économiques et financières centralisée sur le SPM , ce qui a l’a incité à innover en reconstituant le SPM à partir des textes le régissant en vue de déterminer l’étendue et la consistance des fonds publics investis dans le SPM et d’en apprécier certains de ses indicateurs.
Les contrôles effectués par les magistrats de la Cour des comptes ont révélé que le SPM présente, à l’exception d’un nombre très réduit de groupes à savoir SONATRACH (Energie), SAIDAL (Pharmacie), GICA (Matériaux de construction) COSIDER (Construction), SERPORT (Transport) MADAR (Agro-industrie), de faibles performances économiques et financières en dépit du soutien financier conséquent de l’Etat. Ainsi, les assainissements financiers à titre d’annulation des créances du Trésor, de rachat des dettes et de gel du découvert, se sont élevés, à titre d’exemple, pour la période allant de 2003 au premier trimestre 2019 à 1 903 Mrds de DA , alors que les plans de modernisation et de développement des groupes publics financés par des crédits bancaires à un taux bonifié ont atteint au 31 mars 2020 un montant global de 1397 Mrds de DA.
le SPM se caractériserait aussi par une rentabilité très basse, une valeur ajoutée peu contributive à la formation du produit intérieur brut , un surendettement des entreprises publiques économiques et une faible rémunération des capitaux investis par l’Etat. Cette situation traduit selon la Cour des comptes l’inefficacité des dispositifs successifs de gestion et de supervision du SPM .Ces observations pertinentes rejoignent et confortent ceux parmi les économistes les plus avertis préconisent depuis longtemps l’arrêt des assainissements successifs et inopérants de certaines entreprises publiques moribondes qui ne vivent que des aides publiques sans création d’aucune richesse .
Les entreprises publiques économiques sont connues pour la pléthore de leur personnel ce qui explique entre autres leur faible performance en matière de rentabilité et d’efficacité. Dans ce domaine , le rapport de la Cour des comptes constate sans surprise que les charges de personnels constituent la dépense d’exploitation la plus importante dans le SPM qui a employé en 2017 et 2018, respectivement un effectif de 597 655 et 607 9064 pour un montant de 706 Mrds de DA et 754 Mrds de DA (sans les banques et les assurances et les EPE des EPIC et EPST). Elles ont absorbé durant ces deux exercices en moyenne respectivement 50 et 52% de la valeur ajoutée de l’ensemble des groupes sans le secteur de l’énergie. Plus grave , pour certains groupes tels que SNVI, GRCN, GATMA, IMETAL et ACS ce taux a même dépassé les seuils de 86% en 2017 et 100% en 2018. La faiblesse du SPM est aussi illustrée par la rémunération quasi nulle des capitaux investis par l’Etat. Ainsi les capitaux propres investis dans les groupes et EPE hors Sonatrach et hors banques et assurances s’élevant à 3 168 Mrds de DA n’ont procuré en 2018 à l’Etat que 18 Mrds de DA soit un taux de rémunération de… 0,57%. S’y ajoute un surendettement abyssale de l’ensemble des EPE ( à l’exception de SONATRACH, SONELGAZ et Algérie télécom ) qui represente 187% des capitaux propres de ces groupes ce qui met ces EPE dans une situation de quasi faillite.
La Cour des comptes a par ailleurs mis le doigt sur l’un des aspects les plus anachroniques et les plus aberrants de la gestion administrative de l’économie. Sans détour elle constate que la gestion actuelle des EPE ne permettra jamais le développement du SPM du moment que l’apport de l’Etat au titre des participations détenues sur ces EPE n’a jamais été matérialisé par l’émission d’actions en contre partie du capital social libéré qui accordent à l’Etat le droit de réclamer ses dividendes et pour assurer la traçabilité de l’opération et ce conformément au code de commerce . Elle constate en outre ce qui encore plus aberrant que ces actions n’ont jamais été émises ni au profit du Trésor ni au profit des EPIC ayant créé des EPE , et que c’est cette non matérialisation des capitaux marchants de l’Etat qui fait que ces capitaux sont suivis par la direction générale du Trésor au lieu de la direction générale du domaine national alors que d’autre part la comptabilisation des placements au titre des actions de l’Etat par le Trésor ne permet pas le développement du SPM à travers la bourse des valeurs à l’instar de toute économie de marché.
La Cour des comptes a eu aussi à évaluer les résultats des plans de développement des EPE décidés par les pouvoirs publics visant la modernisation des EPE et leur réhabilitation grâce à des plans de développement à financer par des crédits bancaires bonifiés. Elle a constaté que cet ambitieux programme de développement a connu des difficultés dans sa réalisation dues au fait que certaines entreprises publiques n’étaient pas prêtes à concrétiser un tel programme , et se sont retrouver avec des surinvestissements ou bien avec des équipements de haute technologie sans disposer de la qualification pour les faire fonctionner d’où la sous exploitation de leurs capacité ce qui en fin de comptes a mis ces entreprises dans l’incapacité à rembourser les crédits obtenus.
Ce rapport de la Cour des comptes , s’il a bien appréhendé la situation délétère et inquiétante des entreprise publiques économiques qui au lieu de créer de la richesse , appauvrissent et ralentissent le développement économique et sociale de la nation , il est évident qu’a supposer même que les pouvoirs publics appliquent sans restrictions les recommandations émises dans ce rapport , les effets sur l’économie ne seront que superficielles et ce tant que l’Algérie persiste dans son hésitation à adhérer pleinement à l’organisation mondiale du commerce et se complait dans son rôle de simple observateur au sein de cette institution . Il est vain de croire qu’on peut atteindre un développement économique et avoir des entreprises viables créatrices de richesses sans intégrer le système commercial international .Aucun pays n’a pu accéder à un développement économique soutenu et a atteint un taux de croissance appréciable sans qu’il soit membre de l’OMC dont les pays membres représentent 98 % du commerce mondial .La Chine communiste qui avait une économie exsangue et sous développée n’est devenue une superpuissance économique qu’après avoir adhéré à l’OMC en 2001 puis en est devenue un acteur prépondérant.
Maitre BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour de Bouira
brahimimohamed54@gmail.com