Qui dit unification de la jurisprudence dit mise à la disposition des juges et du public des arrêts rendus par la Cour suprême ( et par le Conseil d’Etat en matière administrative) pour qu’ils puissent s’en inspirer en cas de nécessité. Cette mise à disposition s’opère en Algérie par voie de publication dans une revue dédiée ( la revue de la Cour suprême) ou sur site internet de la Cour suprême.La Cour suprême rend chaque année des milliers d’arrêts ( 60078 arrêts durant l’année 2011) et seuls 400 arrêts au maximum sont publiés et diffusés chaque année .
En pratique quand un tribunal est saisi d’un litige , par exemple un litige sur la propriété d’un bien immobilier , et que chaque partie revendique cette propriété, il revient au juge de trancher et de désigner le propriétaire légitime de ce bien et ce au vu des arguments et des documents excipés par les deux protagonistes.Au cours de l’instance, l’une des parties peut invoquer un moyen qui ,quoique visé par un texte de loi ,n’en est pas moins ambigüe susceptible d’interprétations multiples ou même contradictoires. Il en est ainsi ar exemple de l’article 829 du code civil qui organise la prescription acquisitive des droits successoraux. Cet article bien qu’il dispose que les droits successoraux se prescrivent par 33 ans , il ne précise pas les conditions de la possession à la base de cette prescription. Aussi les juges aussi bien des tribunaux que des cours d’appel interprètent différemment ce texte , certains considèrent qu’au regard de la nature du bien successoral et de la possession qui s’y rattache il ne peut y avoir de prescription , alors que d’autres étende la prescription à tous les droits sans distinction. Dans un autre chapitre en rapport avec la prescription acquisitive , et alors que l’article 829 du code civil dispose que la prescription acquisitive ne peut être soulevée d’office par le juge et qu'elle doit éter soulevée par les partis , certaines juridictions appliquent ce texte différemment en jugeant que la juridiction peut soulever d’office ce moyen par voie de requalification des faits.
Cette divergence dans l’interprétation des textes de loi a on s’en doute des répercutions sur le justiciable qui peut voir son action aboutir ou au contraire rejetée suivant l’orientation choisie par la juridiction saisie. C’est pour éviter ces divergences dans l’interprétation de la loi qu’apparait l’importance du rôle régulateur de certains arrêts rendus la Cour suprême .
Le principe est que les juridictions inferieures ( tribunaux et cours d’appel) conservent leur liberté d’appréciation pour juger les affaires qui leur sont soumises quant bien même il s’agit de dossiers qui soulèvent une matière ou un point de droit que la Cour suprême a déjà tranché dans un de ses arrêts .Cette liberté de statuer à contre-courant de la jurisprudence de la Cour suprême n’est pas absolu. Tout d’abord, si la Cour suprême a déjà donné une solution à un point de droit et que cette solution a été donnée par un arrêt rendu par ses chambres réunies , cette solution doit s’imposer à toutes les juridictions inférieures. Ensuite certains arrêts,alors même qu’ils n’ont pas été prononcés par les chambres réunies de la Cour suprême , acquièrent le caractère d’arrêts de principe de même rang que les premiers du moment que la Cour suprême a décidé de les publier et de le diffuser.
C’est là qu’apparait l’importance du siglage ou de la classification des arrêts de la Cour suprême , et ce alors que les arrêts rendus par les chambres réunies de la Cour suprême sont très rares .Par contre les arrêts diffusés dépassent les 10 000 arrêts .Quelle est la valeur et l’autorité de ces arrêts ainsi diffusés? S’il est évident que le juge inférieur n’a pas l’obligation légale d’appliquer dans le litige qui lui est soumis la solution donnée par un arrêt de la Cour suprême qui a statué sur un litige similaire, il est aussi évident que ce juge ne doit écarter cette solution que s’il propose des motifs sérieux alors même que la jurisprudence sur le point tranché est bien établie en vertu de plusieurs arrêts publiés. Dans un contexte où l’indépendance , la qualité et l’impartialité de la justice sont fortement ébranlées , juger une affaire en porte à faux avec une jurisprudence constante de la Cour suprême peut être interprété comme un parti pris au profit d’une partie au détriment de l’autre.
A l’effet de signaler aux différents intervenants dans le processus judiciaire ,notamment aux juridictions inférieures, l’importance qu’accordent les juges de la Cour suprême à la solution qu’ils a donnée à un point ou à une question de droit par l’arrêt rendu , la Cour suprême procède à la diffusion de cet arrêt par sa publication dans sa revue ou sur son site internet.Les arrêts ainsi publiés peuvent ne pas avoir la même importance ou la même autorité quant bien même ils ont fait l'objet d'une diffusion .Aussi dans certains systèmes judiciaires étrangers les arrêts rendus par les plus Hautes juridictions sont classifiés ou siglés en fonction de leur valeur , de l’eur autorité et de la diffusion qui a été décidée .En France par exemple les arrêts de la Cour de cassation fait l’objet d’un siglage en 4 lettres : B,R,L et C
B : Les arrêts siglés par cette lettre sont les arrêts ayant une portée normative importante et sont publiés au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation .Les arrêts « B » sont aussit diffusés sur le site de la Cour de cassation.
R : comme B mais les arrêts siglés par cette lettre sont aussi publiés au Rapport annuel d’activité de la Cour de cassation.
Ces 2 classifications figurent sur la minute des arrêts et accessibles par le moteur de recherche de jurisprudence du site internet de la cour de cassation
L : Les arrêts portant cette lettre sont sélectionnés pour être commentés dans les Lettres des chambres .Les lettres de chambre mis en ligne et gratuitement mis à disposition du public proposent une sélection commentée des décisions dans un langage simple accessible au grand public qui font écho à un débat public ou à une question de la vie quotidienne .
C : Ce sont les arrêts donnant lieu à une communication immédiate à destination du grand public et qui livrent de façon synthétique et accessible le sens de la décision . Il s’agit généralement d’arrêts qui sont susceptibles d’avoir une forte incidence sur la vie quotidienne des citoyens, un fort impact social ou économique, ou encore, qui font écho à l’actualité .
En Algérie alors même que la Cour suprême publie régulièrement une revue, en moyenne 02 numéros par an dédiée aux arrêts rendus par ses différentes chambres et les diffuse en parallèle sur son site internet , ces arrêts sont publiés tels quels sans aucune classification ou siglage. Cette absence de siglage met tous les arrêts publiés sur le même pied d’égalité quant à la valeur et à l’ autorité que veulent leur donner les juges de la Cour suprême.Peut- en déduire que les juges inferieurs peuvent ne pas s’en inspirer quand ils statuent sur des dossiers soulevant des questions juridiques déjà réglés par l’un de ces arrêts?Malgré l’absence de classification,il est évident que du moment que la Cour suprême a décidé de publier dans sa revue ou sur son site internet certains arrêts ,c’est assurément parce que ces arrêts présentent un intérêt particulier quant à la question de droit ou à la matière tranchée.Les arrêts de la Cour suprême ainsi diffusés doivent être considérés en tout état de cause comme des arrêts de principe par les lesquelles cette Haute Cour fait ressortir des principes d’application générale appelés à régir d’autres cas analogues , aussi les juges des tribunaux et des cour d’appel doivent en tenir compte quand ils jugent des affaires soulevant une matière ou un point de droit à qui la Cour suprême a donné une solution .Ces arrêts de principe ne sont pas évidemment contraignants mais le juge qui refuse de suivre la solution dégagée par la plus Haute Juridiction du pays à qui la Constitution a confié l'unification de la jurisprudence verra son jugement exposé à la cassation et suscitera de la suspiscion à fortiori si ce jugement est mal motivé et que rien dans ses motifs ne justifie la non application du principe dégagée par la Cour suprême .
Maitre BRAHIMI Mohamed
Avocat à la cour de Bouira
brahimimohamed54@gmail.com