Est-ce à dire que devant le classement sans suite décidé par le parquet , les personnes ou groupes de personnes visés par ces propos diffamatoires ou haineux proférés par cette personnalité politique n’ont aucun recours pour faire cesser ces agissements délictueux préjudiciables ? Assurément non puisque le code de procédure pénale a prévu des procédures parallèles qui permettent à la victime de tels actes de saisir un tribunal pour faire juger leur auteur.
Tout d’abord il est indéniable que la loi interdit et réprime toute atteinte portée à l’honneur et à la considération des personnes. Ainsi les articles 296 à 299 du code pénal punit d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement , tout acte ou propos diffamatoire ,injurieux ou outrageant dirigé contre un particulier .Et si le propos vise une personne qui appartient à un groupe ethnique ou philosophique ou à une religion déterminée , la peine est portée à une année d’emprisonnement.
En cas de plainte déposée par une victime d’une infraction auprès du procureur de la République , ce dernier n’est pas légalement obligé d’ouvrir une enquête ou de mettre en mouvement l’action publique car la loi lui reconnait un pouvoir d’appréciation très large. Il peut donc refuser d’ouvrir une enquête et décider du classement de la plainte sans qu’il soit tenu d’exposer les motifs de ce refus.La victime de l’infraction , quant bien même sa plainte a été classée sans suite par le parquet , pourra toujours poursuivre l’auteur de cette infraction devant la juridiction pénale en vertu de deux procédures distinctes : La citation directe et la plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction .Si les deux procédures tendent sans distinction à faire juger l’auteur d’une infraction sur l’initiative de la seule victime , elles différent quant aux conditionn de leur exercice .
LA CITATION DIRECTE PAR LA PARTIE CIVILE
Cette procédure de citation directe permet donc à la victime d’une infraction de faire comparaitre directement l’auteur de cette infraction devant le tribunal pénal sans enquête préalable du parquet ou du juge d’instruction. Elle est appliquable en matière de délits alors qu'en matière contraventionnelle la loi est muette .La victime d’un crime ne peut en conséquence recourir à cette procédure car en matière de crime et conformément à l’article 66 du code de procédure pénale , l’instruction préparatoire par un juge d’instruction est obligatoire .
En principe , et en application de l’article 337 bis alinéa 2 du code de procédure pénale, la citation directe par la partie civile ne saisit pas automatiquement le tribunal mais elle doit être préalablement autorisée par le procureur de la République.Mais et c’est là l’avantage de cette procédure , si les faits objet de la citation directe constituent le délit de diffamation ( ou encore d’abandon de famille, de non représentation d’enfants , de violation de domicile ou encore de chèque sans provision) , cette autorisation n’est pas nécessaire et ce en vertu du même article.Pour ces infractions , la citation directe saisit automatiquement le tribunal et le procureur de la République ne peut s’y opposer.
La citation directe par la partie civile est présentée au greffe du tribunal sous forme d’une requête adressée au procureur de la République mentionnant obligatoirement l’identité du plaignant et son adresse ainsi que celles de l’auteur de l’infraction , les faits objets de la plainte, la nature de l’infraction et le texte de loi punissant cette infraction. Certains parquets exigent aussi la mention de la date et du lieu de naissance de l’auteur de l’infraction ainsi que sa profession .Cette dernière exigence est à notre avis contraire à la loi puisque en matière de citations et notifications en matière pénale , l’article 439 du code de procédure pénale renvoie aux disposition du code de procédure civile et administrative et ce dernier n’exige que la mention des noms et prénoms .
L’article 337 bis du code de procédure pénale exige d’autres conditions pour que la citation directe soit recevable. La partie civile doit verser entre les mains du greffier une consignation c’est à dire une somme d’agent dont le montant est fixé par le procureur de la République .Enfin la partie civile doit faire élection de domicile dans le ressort du tribunal si elle n’y est pas domiciliée. Si la partie civile ne réside pas dans le ressort du tribunal saisi de la citation directe, c’est généralement chez un avocat qu’elle va élire domicile.
Une fois la plainte avec citation directe devant le tribunal déposée auprès du procureur de la République et la consignation versée, le procureur procèdera à la fixation de date et de l’heure de l’audience et il reviendra au plaignant de notifier cette citation à l’auteur de l’infraction par voie d’huissier de justiec.A l’issue de l’audience , le tribunal rend sa décision.Il peut soit condamner le prévenu auteur de l’infraction avec indemnisation de la partie civile , soit lil estimera que l’infraction n’est pas constituée et relaxera le prévenu. En cas de décision de relaxe du prévenu, ce dernier peut au cours de la même audience demander à la partie civile qui a mis en mouvement l’action publique des réparations civiles pour abus de constitution de partie civile et ce conformément à l’article 366 code de procédure pénale .C’est pour cette raison que la victime qui a recours à la citation directe doit obligatoirement déposer une consignation. Aussi il est conseillé de ne recourir à la citation directe que si la victime dispose de toutes les preuves légales pour établir la réalités des faits reprochés au mis en cause.
LA CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE DEVANT LE JUGE D’INSTRUCTION
Pour des raisons diverses, la victime d’une infraction peut ne pas être autorisée à recourir à la procédure de la citation directe . Il pourrait s’agir d’une infraction qualifiée de crime qui est soumise obligatoirement à une information par le juge d’instruction . La victime peut aussi ne pas avoir en sa possession des preuves irréfutables prouvant la culpabilité du mis en cause ou encore le procureur de la République refuse de donner son autorisation pour citer directement l’auteur de l’infraction. Dans toutes ces hypothèses , la victime peut déposer plainte devant le juge d’instruction avec constitution de partie civile.Cette procédure de constitution de partie civile devant le juge d'instruction applicable aux délits et crimes est prévue par les articles 72 et suivants du code de procédure pénale
Il est vrai que le dépôt de plainte devant le juge d’instruction avec constitution de partie civile ne garantie pas que ce juge diligentera automatiquement une instruction car la loi l’autorise à refuser d’instruire . La différence est que la décision de refus d’instruire émane d’un juge du siège et en conséquence elle est susceptible de recours contrairement à la décision de procureur de la République.
Comme en matière de citation directe, le juge d’instruction est saisi par une plainte motivée, c’est à dire une plainte relatant le détail des faits reprochés au mis en cause .Concernant la désignation dans la plainte de l’identité du mis en cause auteur de l’infraction , la Cour suprême s’est penchée sur la question en jugeant que le défaut partiel ou total de mention de l’identité du mis en cause n’est pas une cause d’irrecevabilité de la plainte et ce au motif que le juge d’instruction a toute latitude pour ordonner tel acte d’instruction qu’il juge nécessaire aux fins de découvrir l’identité exacte de l’auteur de l’infraction ( Cour suprême, Chambre correctionnelle, arrêt du 22/03/1999, dossier n° 200697, revue judiciaire, année 2009 ,n° 1, p.205) .La plainte avec constitution de partie civile est présentée au juge d’instruction si le tribunal ne comporte qu’un seul cabinet d’instruction , et au doyen des juges d’instruction si le tribunal comporte plusieurs cabinets d’instruction. La partie civile doit sous peine d’irrecevabilité consigner au greffe la somme nécessaire pour les frais de procédure qui est fixée par le juge d’instruction et élire domicile dans le ressort du tribunal où se fait l’instruction.
Avant d’entamer les actes d’instruction, le juge d’instruction transmet la plainte au procureur de la République aux fins de réquisition. Le procureur de la République ne peut en principe s’opposer à l’ouverture d’une information mais il peut le faire et demander en conséquence au juge d’instruction de rendre une ordonnance de non informé s’il estime que les faits ne constituent pas une infraction .Mais en tout état de cause , le juge d’instruction peut passer outre à la demande de non informé du procureur de la République.
Une fois l’information ouverte , le juge d’instruction procède aux actes d’instructions qu’il juge utiles ( auditions des parties, transports , perquisitions, expertises...).Une fois l’instruction terminée , il rend suivant les cas soit une ordonnance de renvoi devant le tribunal pour faire juger l’affaire, soit une ordonnance de non-lieu si les faits n’ont pas été établis. Les ordonnances du juge d’instruction sont susceptibles d’appel devant la chambre d’accusation.
Comme en matière de citation directe , si le juge d’instruction rend une ordonnance de non –lieu, la personne visée dans la plainte peut au choix soit déposer à son tour une plainte pénale contre la partie civile pour dénonciation calomnieuse , soit intenter contre lui une action civile pour demander des réparations. La loi a prévu pour la demande de réparations civiles une procédure particulière. Au lieu d’être portée devant le tribunal civil , cette demande est portée en vertu de l’articel 78-2 du code de procédure pénale dans le délai de 3 mois à partir du jour où l’ordonnance de non-lieu est devenue définitive, devant le tribunal statuant en matière délictuelle dans le ressort duquel l’affaire a été instruite.
Par Mohamed BRAHIMI
Avocat à la cour
brahimimohamed54@gmail.com