Il est devenu clair au vu des éléments du dossier tels que relatés par les deux parties en cause que l’action en référé intentée par le ministère de la communication a été mal engagée dès le dépôt de la requête auprès du greffe du tribunal de Bir Mourad Rais.Initialement l’objet de la requête introductive de l’instance en référé tendait à l’annulation de la convention de cession des actifs du groupe El khabar.Cette demande ne pouvait en aucun cas aboutir pour la simple raison que c’est une demande qui touche au fond du droit et en tant que telle elle ne relève pas de la compétence du juge des référés mais doit être jugée par le tribunal statuant au fond .Cette première violation d’un des principes fondamentaux qui régit les référés renseigne sur la légèreté ( pour ne pas dire l’incompétence) de ceux qui ont déposé une telle demande. Cette première entorse à la loi s’est renforcée par d’autres erreurs procédurales de même acabit commises au fur et à mesure des renvois successifs ordonnés par le tribunal.La plus cocasse étant cette dernière demande additionnelle présentée aux juges aux fins de mettre en cause d’autres parties au procès en cours.
Cette cacophonie procédurale vécue tout au long des quatre renvois du dossier remet au goût du jour les observations émises par des praticiens du droit à l’occasion du débat sur le nouveau code de procédure civile et administrative entré en vigueur le 25 février 2009.Nombre de juristes ont souligné à l’époque les incohérences et les difficultés d’interprétation de certains dispositions de ce code notamment celles en rapport avec les référés administratifs.La pertinence de ces observations se sont avérées exactes quand les juridictions administratives ont commencé à appliquer ces nouvelles dispositions. Il s’est avéré que chaque juridiction interprète les quelques articles dédiés aux référés administratifs à sa façon à telle enseigne que « les référés administratifs » sont devenus « le référé administratif » et il n’est pas rare qu’une demande en référé ne soit jugée qu’après l’écoulement de plusieurs semaines alors que certaines affaires introduites suivant cette procédure devraient aux termes de la loi être jugées dans un délai de 48 heures.
Alors que la règle universellement admise en matière de référé administratif est que ce genre de contentieux est confié en toute logique à un juge unique , sans mise au rapport ni conclusions du commissaire d’Etat, en Algérie on ne sait pour quelle raison ce contentieux de l’urgence est confié à une formation collégiale de trois juges au même titre qu’en matière de contentieux ordinaire. Les concepteurs du nouveau code de procédure civile et administrative en leur qualité d’experts en procédure judiciaire devaient savoir que le recours à la formule du juge unique en matière de référé est indispensable pour assurer la célérité des instances et garantir un traitement rapide des requêtes alors que le recours à la formation collégiale est une source d’allongement et alourdit le traitement des dossiers. L’affaire d’El khabar en est un exemple édifiant. Rien n’expliquer ni ne justifie cette « exception algérienne » qui en fin de parcours pénalise le justiciable.Régi donc par les mêmes règles que le contentieux administratif ordinaire, il ne faut pas s’étonner que le traitement des référés traîne en longueur.
Une requête en référé bien réfléchie et bien motivée devrait à la base qualifier la nature du référé engagé , le distinguer clairement des autres référés prévus par la loi et viser l’article de loi applicable . En l’absence de cette qualification et de ces précisions , le juge peut rejeter la requête en la fore sans autre forme de procès
Le nouveau code de procédure civile et administrative et contrairement à l’ancien code connaît trois sortes de référés d’urgence à savoir le référé-suspension de l’article 919 , le référé-liberté de l’article 920 et le référé-mesures utiles de l’article 921.Il existe d’autres référés mais ceux-ci n’ont aucun rapport avec l’affaire en cause.
Ayant pris conscience de l’irrecevabilité de la demande en annulation de la convention de cession d’actions , les avocats du ministère de la communication se sont rabattus sur l’article 919 qui régit le référé -suspension.Voici le contenu de cette disposition : « Quand un acte administratif, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation totale ou partielle, le juge des référé, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cet acte ou de certains de ses effets lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l'acte».Cet article est-il applicable au cas d’espèce ?On peut en douter et ce pour la simple raison que cette disposition autorise la suspension d’un « acte administratif » et à la condition de justifier « l’urgence » ce qui n’est pas le cas de la demande de suspension de la convention de cession d’actifs du groupe El khabar. D’une part le contrat de cession d’actifs ne constitue nullement un acte administratif et d’autre part la condition de l’urgence est inexistante puisque l’accord de cession a été déjà signé et vidé dans un acte notarié.Si donc la requête du ministère a été fondée sur cet article 919, il est fort à parier que les juges prononceront le rejet de la demande.
Il aurait été plus judicieux et plus conforme à la nature du litige d’asseoir la requête de suspension ou de sursis à exécution sur la base de l’article 920 qui régit le référé-liberté.Cet article dispose que : «Statuant sur la demande visée à l'article 919 ci-dessus, justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales auxquelles des personnes morales de droit public ou des organismes dont le contentieux relève des juridictions administratives, auraient porté, dans l'exercice de leurs pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale , et dans ce cas, le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit (48) heures à compter de la saisine. ».
A supposer que c’était la SPA El khabar qui a assigné le ministère de la communication aux fins de voir suspendre par exemple sa décision de retirer l’agrément du journal El khabar au motif que la vente du titre viole les dispositions de l’article 25 du code de l’information, c’est la disposition de l’article 920 qu’il faut exciper devant le juge des référés Par analogie , c’est sur cet article 920 que le ministère de la communication aurait dû fonder son action. Mais là encore s’agissant d’une requête introduite par le ministère de la communication en tant que demandeur et dont l’objet est de suspendre une convention de cessions d’actions signés entre deux entités de droit privé,il est fort à parier que le juge des référés ne pourra ici aussi que rejeter cette demande au motif d’un côte de l’absence de l’élément d’urgence et de l’autre de l’absence d’un acte se rattachant à une personne publique ou à une personne privé qui a reçu des prérogatives de puissance publique.
Il en est de même pour le référé- mesures utiles appelé aussi « référé conservatoire » qui dans tous les cas de figure suppose lui aussi l’urgence et la mise en cause d’une activité de service public ou une prérogative de service public.
La demande du ministère de la communication viole aussi l’un des principes fondamentaux du contentieux administratif selon lequel l’administration ne peut engager une action devant le juge administratif que si elle ne dispose pas de prérogatives d’action suffisante.La demande de l’administration est irrecevable si cette dernière a le pouvoir d’agir .Concernant la convention de cession des actifs d’El khabar qui est une convention d’ordre privée qui relève du juge judiciaire et non du juge administratif , la loi sur l’information ne sanctionne pas l’acte de cession lui-même quant bien même cette cession serait illégale mais autorise seulement l’autorité de régulation (et subsidiairement le ministère de la communication) à retirer l’agrément si elle estime cette cession non conforme au code de l’information. Dans ce cas il revient à l’autorité administrative compétente, si elle estime le transfert de propriété de la publication illégal , d’émettre une décision administrative de retrait d’agrément à la nouvelle entité devenue propriétaire de la publication et à ce moment c’est à cette dernière de former un recours en suspension ou en annulation contre cette décision.Cette autorité (en l’espèce le ministère de la communication) ayant à sa disposition une prérogative d’action, elle est irrecevable dans son demande en référé introduite devant le tribunal administratif de Bir Mourad Rais.
Le plus surréaliste dans ce feuilleton judiciaire est cette déclaration de l’un des avocats du ministère de la communication dans laquelle il justifia sa demande d’un quatrième renvoi du dossier par le souci de récupérer une copie du contrat de cession .A-t-on idée d’engager une procédure judicaire aux fins de suspension ou d’annulation d’un acte de cession d’actifs d’une société par actions sans avoir entre les mains une copie de cet acte et sans le verser au tribunal ? Enregistrer une action en justice qui plus est en référé puis demander à l’audience un délai pour se faire délivrer et présenter l’acte objet de cette action c’est assurément mettre la charrue avant les bœuf .
Pour achever la patience des juges déjà fort entamée, les avocats du ministère ont introduit une énième demande de renvoi suite à « l’introduction d’une requête d'intervention » suivant l’expression de ces derniers. Il s’agit en fait « d’une mise en cause » d’un tiers dans une instance judiciaire en cours .La mise en cause d’un tiers étranger à l’instance déjà engagée est une procédure qui est effectivement prévue par l’article 869 du code de procédure civile et administrative qui permet au demandeur ou au défendeurs initial d’appeler à l’instance en cours une tierce personne pour lui rendre opposable la décision qui sera rendue.Le demandeur dans l’affaire en question veut mettre en cause les associés du groupe El khabar.Le problème est que la mise en cause ou l’intervention forcée comme d’ailleurs l’intervention volontaire n’est recevable en référé administratif que sous certaines conditions.Le référé-suspension n’étant qu’un accessoire au recours au fond, il faudrait que les mis en cause aient été aussi cités devant l’autre action qui est pendante devant le juge du fond ce qui n’est apparemment pas le cas ce qui se traduira en principe par une irrecevabilité de cette mise en cause des actionnaires.
La mise en cause ou l’intervention forcée n’est recevable en vertu de l’article 194 du code de procédure civile et administrative que si la personne ou l’entité mise en cause a intérêt et qualité pour agir. On voit mal l’intérêt à faire intervenir à l’instance les actionnaires alors que la question soumise au juge des référés était simplement de savoir si la société cessionnaire en l’occurrence Ness Pro a le droit d’acquérir les actifs d’El khabar notamment le journal éponyme , et que ce transfert de propriété ne viole pas l’article 25 du code de l’information. La seule partie ayant qualité et intérêt à agir en tant que défenderesse à l’instance est donc bel et bien la société Ness Prod en tant que cessionnaire des actions et le groupe El khabar en tant que propriétaire légal du journal.
Ce sont sûrement tous ces rebondissements digne d’un polard accouplés à la politisation du dossier qui ont pousse Issad Rebrab à prendre la décision de mettre la majorité du capital du groupe El Khabar à la bourse d’Alger et permettre ainsi selon ses déclarations à des milliers d’algériens notamment les lecteurs d’El khabar à devenir actionnaire de ce groupe de presse. C’est une initiative fort louable mais ici encore on a l’impression que ce capitaine d’industrie n’a pas échappé à la forte tension générée par cette ténébreuse affaire et qui lui a fait perdre le sens des réalités car malheureusement en droit algérien l’entrée en bourse d’une société par action à fortiori si elle est privée est un vrai parcours du combattant .Et vu les tenant et les aboutissant de cette affaire qui n’est plus une affaire exclusivement commerciale,il y a de fortes chances que la tentative de rentrer en bourse soit infructueuse.Pour la simple raison que l’introduction à la bourse d’Alger nécessite le visa de la fameuse COSOB un visa qui n’est délivré qu'après que la société intéressée ait constitué un gros dossier administratif et comptable et après avoir été soumise à une enquête d'habilitation ardue. Ce n’est pas un hasard si seules 3 sociétés privée sont actuellement cotées en bourse.
Maitre M.BRAHIMI
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