Il est évident que l’ISTN porte atteinte aux droits fondamentaux du citoyen , aussi le recours à cette mesure doit être exceptionnel et ne doit pas être ordonnée à la légère. Tout d’abord la liberté de circuler librement y compris la liberté d’entrée et de sortir du territoire national est un droit fondamental garanti par l'article 55 alinéa 2 de la Constitution qui dispose : « Le droit d’entrée et de sortie du territoire national est garanti ».En outre ce droit fondamental est aussi garanti par les conventions internationales et régionales ratifiées par l’Algérie notamment par la Déclaration universelle des droits de l’homme ( article 13-2) , le Pacte international des droits de l’homme ( article 12-2) et la Charte africaine des droits de l’homme ( article 12).La convention internationale étant supérieure à la loi conformément à l’article 150 de la Constitution , le droit d’entrée et de sortie du territoire nationale est un droit qui doit être exercé en toute liberté et sans entraves sachant que tout acte arbitraire ou attentatoire à la liberté individuelle est une infraction punie de la réclusion criminelle par l’aticle 107 du code pénal .Pour autant ni la Constitution ni les conventions internationales ne prohibent d’une façon absolue l’interdiction de sortie du territoire national.Il peut en effet exister des situations particulières où l’interdiction à un citoyen de quitter le territoire national est nécessaire pour des considération de sécurité ou d’ordre public, notamment pour éviter la fuite d’une personne soupçonnée d’un crime ou d’un délit.
S’il est permis aux pouvoirs publics de déroger au principe de la liberté de circuler dans et hors le territoire national , c’est à la seule condition d’encadrer l’interdiction de sortie du territoire national dans des limites strictes et bien définies afin d’éviter tout abus . Aussi cette interdiction est encadré autant par la Constitution elle-même que par le loi.
En vertu de l’article 55 de la Constitution ,la restriction au droit d’entrée et de sortie du territoire national ne peut être ordonnée que pour une « durée déterminée et par une décision motivée de l’autorité judicaire ». Cette disposition constitutionnelle est complétée et précisée dans les modalités de son application par le nouvel article 36 bis1 de l'ordonnance n° 15-02 du 23/07/2015 modifiant et complétant le code de procédure pénale qui dispose que : « Le procureur de la République peut, pour les nécessités de l’enquête, sur rapport motivé de l’officier de police judiciaire, ordonner l’interdiction de sortie du territoire national de toute personne à l’encontre de laquelle il existe des indices faisant présumer sa probable implication dans un crime ou un délit ; l’interdiction de sortie du territoire national, prise conformément aux dispositions de l’alinéa précédent, prend effet pour une durée de trois (3) mois renouvelable une seule fois ;Toutefois, lorsqu’il s’agit des infractions de terrorisme ou de corruption, l’interdiction peut être renouvelée jusqu’à clôture de l’enquête ; La levée de l’interdiction de sortie du territoire national est ordonnée dans les mêmes formes ».
En application de ces dispositions , et contrairement aux pratiques antérieures où l’ISTN relevait du pouvoir discrétionnaire des différents services de sécurité civils ou militaires , c’est désormais à la seule justice en la personne du procureur de la République qu’échoit la pouvoir d’ordonner l’ISTN.Cette nouvelle règle est sans conteste un pas considérable dans le renforcement des libertés individuelles mais encore faut-il que les magistrats du parquets mais aussi les magistrats instructeurs l’appliquent dans le strict respect de la loi.
Par la combinaison de l’article 55 de la Constitution et de l’article 36 bis 1 du code de procédure pénale , la mesure d’interdiction de sortie du territoire national ordonnée par le procureur la République doit remplir les conditions suivantes :
1- La personne visée par l’ISTN est sous l’effet d’une enquête diligentée par les services de sécurité.
2- Le rapport de l’officier de police judiciaire sollicitant du procureur de la République la mise sous ISTN de la personne sous enquête doit être motivé.
3- Il doit exister contre la personne objet de l’ISTN des indices faisant présumer sa probable implication dans un crime ou un délit.
4- l’ISTN doit être ordonnée pour une période ne dépassant pas trois mois mais qui peut être renouvelée une seule fois pour la même période sauf s’il s’agit d’une infraction de terrorisme ou de corruption où le renouvellement est possible jusqu’à la clôture de l’enquête.
Concernant l’affaire du journaliste Abdou Semmar, il est fait état d’un procès-verbal de notification émanant du parquet de Dar El Beida en date du 29/11/2018 confirmant qu’il est l’objet d’une mesure d’ ISTN en date du 08 novembre 2018 ordonnée par le tribunal de Sidi M’hammed.Ce procès-verbal ne mentionne pas si cette mesure d’ISPN a été ordonné par le procureur de la République en vertu de l’article 36 bis 1 du code de procédure pénale ou par le juge d’instruction en vertu de l’article 125 bis 1 du même code .Mais en tout état de cause qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre magistrat , la décision d’ISTN qui doit être une décision écrite et motivée aurait du être être notifiée à la personne concernée.
Le non respect des formes prévues par les dispositions constitutionnelles et législatives sus-indiquées entraine la nullité de la décision de l’ISTN.S’il s’agit d’une ordonnance du juge d’instruction faisant injonction au prévenu de ne pas quitter le territoire national, il revient à la chambre d’accusation de censurer cette décision en l’annulant s’il l a juge non-conforme à la loi .Mais quid de l’ISTN ordonnée par le procureur de la République en application de l’article 36 bis 1 ? Aucun recours n’est prévu par la loi .Ce vide juridique est d’autant incompréhensible qu’il s’agit d’une décision portant atteinte à un principe constitutionnel pouvant entraîner de graves préjudices à la personne interdite de sortie du territoire national.L’interdit de sortie du territoire national peut toujours demander la levée de cette interdiction au procureur de la République qui l’a ordonné et ce en application de l’article 35-4 du code de procédure pénale . En cas de refus de rapporter la mesure d’ISTA , il y a la possibilité de saisir le chef hiérarchique du procureur de la République auteur de la mesure d’interdiction en l’occurrence le procureur général , et en dernier recours il faudra attendre l’expiration du délai de 3mois pour que cette interdiction soit levée de plein droit.
Le constituant et le législateur ayant eu pour souci la protection des libertés individuelles en encadrant judiciairement l’ISTN , il faudrait pour conforter cette protection permettre un recours contre les décisions des procureurs de la République interdisant à un citoyen de quitter le territoire national ,sinon à quoi bon imposer des conditions à la délivrance d’une ISTN si aucun contrôle hiérarchique sur la légalité de telles décisions n’est exigé.
Par Maitre M.BRAHIMI
Avocat à la cour
brahimimohamed54@gmail.com