Désormais toute personne ayant été placée en détention provisoire au cours d’une procédure pénale et qui s’est terminée par un non-lieu, une relaxe ou un acquittement aura droit à une indemnité si certaines formes et conditions sont réunies.Quelles sont ces formes et ces conditions ?
C’est l’article 137 bis du code de procédure pénale qui pose le principe de l’indemnisation de détention provisoire injustifiée : « Une indemnité peut être accordée à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire injustifiée au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu,de relaxe ou d’acquittement devenue definitive,lorsque cette détention lui a causé un préjudice avéré et particulier et d’une particulière gravité ».
Cette indemnité est allouée par une commission spéciale instituée au niveau de la Cour suprême dénommée « commission d’indemnisation » .Elle est composée du président de la Cour suprême ou de son représentant qui la préside et de deux magistrats du siège de la même Cour .Les membres de la commission sont désignés annuellement par le bureau de la Cour suprême. Depuis son installation ,cette commission a rendu de nombreuses décisions qui ont précisé et clarifié les modalités et les conditions de la mise en œuvre de la procédure d’indemnisation pour cause de détention provisoire injustifiée . Nous ferons état dans ce billet de certaines de ces décisions.
La première condition pour bénéficier d’une indemnisation pour cause de détention provisoire injustifié est que la personne objet de cette détention ait bénéficiée d’un non-lieu ( décision rendue par le juge d’instruction qui a instruit le dossier) , d’une relaxe ( décision rendue par tribunal ou la cour d’appel) ou d’un acquittement ( décision rendue par le tribunal criminel).
D’après la jurisprudence de la commission d’indemnisation , il faut comprendre par « détention » la détention provisoire ordonnée par la juridiction d’instruction ou de jugement , ce qui exclut le détention dans le cadre de la garde à vue dans les locaux des services de sécurité ( CI , décision du 10/09/2014 ,dossier n° 7195 , revue de la Cour suprême , année 2014,n°2,p.481) .De même,ne peut être indemnisée, même après une relaxe la personne qui a été simplement mise sous contrôle judicaire avec interdiction de quitter le territoire nationale ( CI , décision du 14/04/2010 ,dossier n° 4673 , revue de la Cour suprême , année 2012,n°2,p.481).
La relaxe doit être totale et doit concerner tous les faits et infractions objets de la poursuite .Si la personne a été poursuivie pour avoir commis plusieurs infractions et a été relaxée pour certaines mais condamnés pour d’autres , il n’y a pas lieu à indemnisation ( CI , décision du 11/03/2015 ,dossier n° 7493 , revue de la Cour suprême , année 2015,n°1,p.481).En outre si le prévenu a bénéficié de la relaxe dans une affaire mais est toujours en détention pour d’autres affaires, sa demande d’indemnisation n’est pas recevable ( CI , décision du 13/02/2013 ,dossier n° 6515 , revue de la Cour suprême , année 2013,n°1,p.450). De même la personne condamnée qui a bénéficié d’une grâce présidentielle pour le restant ou pour la totalité de sa peine ne peut bénéficier d’une indemnisation au titre de la détention provisoire du moment qu’il ne s’agit pas d’un non-lieu ou d’une relaxe ( CI , décision du 11/03/2015 ,dossier n° 7483 , revue de la Cour suprême , année 2015,n°1,p.478).Il doit s’agir conformément à l’article 137 bis du code de procédure pénale d’une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement , aussi si le demandeur qui a bénéficié d ’un jugement ayant simplement annulé les actes de poursuite avec mise en liberté , n’a pas droit à une indemnisation pour sa détention ( CI , décision 21/11/2012 ,dossier n° 6301 , revue de la Cour suprême , année 2013,n°2,p.486).
La deuxième condition est que la détention provisoire ait causé à la personne injustement incarcérée un préjudice avéré et particulier et d’une particulière gravité. La jurisprudence de la commission est très extensive dans l’interprétation de la notion de « préjudice » qui ouvre droit à l’indemnisation. Pour les juges de cette commission la détention provisoire suivie de la relaxe se suffit à elle-même , mais elle pose la règle que le préjudice invoqué doit être personnel et direct, ce qui implique par exemple que les héritiers de la personne décédée et détenu et qui a été par la suite innocentée n’ont pas droit à l’indemnisation prévu à l’article 137 bis. C’est ainsi qu’elle a jugé que les héritiers ne sont pas recevable dans leur demande d’ indemnisation du fait de la détention provisoire injustifié du cujus au motif que le préjudice invoqué par ces héritiers n’est pas personnel et direct ( CI , décision du 14/03/2012 ,dossier n° 6123 , revue de la Cour suprême , année 2014,n°1,p.498 ; CI , décision du 09/11/2011 ,dossier n° 6107 , revue de la Cour suprême , année 2012,n°1,p.451 ; CI , décision du 14/03/2012 ,dossier n° 6079 , revue de la Cour suprême , année 2012,n°2,p.492 ).
La troisième condition est que la demande en indemnisation soit présentée à la commission d’indemnisation dans un délai de 6 mois à compter de la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive et ce conformément à l’article 137 bis 4 . Par « décision définitive « il faut entendre la décision qui n’est plus susceptible d’aucun recours quel qu’il soit.Si la décision de relaxe ou d’acquittement est frappée d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême , elle n’est pas considérée comme étant une décision définitive et il faudrait alors attendre l’arrêt de la Cour suprême .
L’application de cette règle peut engendrer des difficultés d’interprétation .Ainsi en est-il de l’arrêt de relaxe de la cour devenu définitif suite à un pourvoi en cassation rejeté mais qui a fait l’objet d’une action en rectification .A partir de quel moment faudra-t-il compter le délai de 6mois ? Est-ce à partir de la date de l’arrêt rendu par la Cour suprême statuant sur le pourvoi , ou bien à partir de la date de l’arrêt statuant sur la demande de rectification .Dans un dossier où ce cas d’espèce ce a été traité par la commission , cette dernière a jugé que le délai de 6 mois court à partir du jugement ayant définitivement prononcé la relaxe c'est-à-dire à partir de l’arrêt de la Cour suprême ayant rejeté le pourvoi en cassation contre l’arrêt de relaxe , et non pas à compter de la rectification de l’erreur matérielle ( CI , décision du 11/06/2014 ,dossier n° 7138 , revue de la Cour suprême , année 2014,n°1,p.509).
Un autre écueil à éviter est celui de croire que le pourvoi en cassation d’une décision de relaxe ou d’acquittement introduit par la seule partie civile est suspensif du délai de 6 mois et qu’il faille attendre la décision de la Cour suprême sur ce pourvoi pour saisir la commission .La décision de relaxe ou d’acquittement acquière le caractère de décision définitive quant bien même elle fait l’objet d’un pourvoi en cassation si ce pourvoi a été introduit par la seule partie civile, car en l’absence d’un pourvoi du ministère public , la Cour suprême ne statuera que sur les seuls intérêts civils , et par conséquent la demande d’indemnisation doit être présentée à la commission dans le délai de 6 mois suivant le prononcé de l’arrêt de relaxe ou d’acquittement et non pas à compter du prononcé de l’arrêt de la Cour suprême sur le pourvoi de la partie civile et à défaut la demande d’indemnisation sera déclarée irrecevable ( CI , décision du 11/12/2103 ,dossier n° 6872 , revue de la Cour suprême , année 2013,n°2,p.494).
Au cas où la demande d’indemnisation pour cause de détention provisoire injustifiée est jugée recevable en ce que le demandeur excipe d’une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, et que cette demande a été présentée dans le délai de 6mois suivant le prononcé de la décision , la commission procèdera à la fixation du taux de l’indemnisation. La jurisprudence de la commission est constante en ce que le préjudice susceptible d’être indemnisé est soit un préjudice matériel soit un préjudice moral ou les deux en même temps.
Si le demandeur en indemnisation pour détention provisoire injustifiée avait un emploi rémunéré avant son incarcération , ou qu’il exerçait une activité professionnelle ou commerciale , la réparation de ce préjudice matériel doit couvrir la perte du salaire ou du revenu. Pour un salarié , la réparation du préjudice matériel est calculée sur la base du salaire tel que fixé sur la fiche de paie ( CI , décision du 14/05/2014 ,dossier n° 7116 , revue de la Cour suprême , année 2014,n°1,p.505) , et s’il s’agit d’un travailleur immigré exerçant à l’étranger , la réparation est calculée sur la base du taux de change officiel ( CI , décision 21/11/2012 ,dossier n° 6382 , revue de la Cour suprême , année 2013,n°2,p.490 ) .
Pour un commerçant ou un entrepreneur , c’est le bénéfice net réalisé qui est pris en considération et non pas le chiffre d’affaire ( CI , décision 10/03/2010 ,dossier n° 4588 , revue de la Cour suprême , année 2012,n°2,p.477). Peut aussi faire l’objet d’une indemnisation le dommage matériel consécutif à l’arrêt des projets d’un promoteur immobilier injustement incarcéré. La commission dans ce cas d’espèce a ordonné une expertise avant de statuer et ce à l’effet de préciser le manque à gagner du promoteur ( CI , décision du 12/03/2014 ,dossier n° 6935 , revue de la Cour suprême , année 2014,n°2,p.477).
Tous les documents produits devant la commission doivent être rédigés en langue arabe ou traduits et ce peine d’irrecevabilité ( CI , décision du 09/06/2010 ,dossier n° 4942 , revue de la Cour suprême , année 2012,n°2,p.485)
En sus de ce dommage matériel , le dommage moral est lui aussi indemnisé.Des décisions de la commission, il ressort que le préjudice moral est automatiquement accordé au seul motif que la détention a eu pour conséquence la privation de liberté et l’éloignement de la personne emprisonné de son environnement familial et social. Dans certaines décisions la commission fait état de l’atteinte à l’honneur et à la dignité du demandeur du fait de son incarcération pour des infractions infamantes .
La commission d’indemnisation dont le siège est située à la Cour suprême est saisie par une requête signée du demandeur lui-même ou d’un avocat agréé à la Cour suprême.la requête doit contenir certaines mentions prévues par l’article 137 bis4 du code de procédure pénale notamment la date et la nature de la décision qui a ordonné la détention provisoire ainsi que l’établissement pénitentiaire où elle a été subie, la juridiction qui a prononcé la décision de non-lieu , de relaxe ou d’acquittement ainsi que la date de sa décision, la nature et le montant des préjudices allégués et l’adresse où doivent être faites les notifications au demandeur. Le dossier de la procédure pénale tenu au niveau de la juridiction qui a rendu la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement est transmis à la commission sur demande de cette dernière. La commission procède ou fait procéder à toute mesure utile avant de statuer. Une fois l’instruction close, une date d’audience est fixée et est notifiée au demandeur et à l’agent judicaire du trésor.Si une indemnité est accordée, le paiement est effectué par le trésorier de la wilaya d’Alger. En cas de rejet , le demandeur peut être condamné aux dépens. Les décisions de la commission d’indemnisation sont définitives et ne peuvent faire l’objet d’aucun recours.
Par Mohamed BRAHIMI
Avocat à la cour
brahimimohamed54@gmail.com