Cette ordonnance prévoit un arsenal repressif impresionnnant qui incrimine pas moins d'une trentaine d'actes en rapport avec les bandes de quartiers : création organisation,enrôlement,participation ou recrutement dans une bande de quartiers ( emprisonnement de trois ans à dix ans et une amende de 300.000 DA à 1.000.000 DA) ; exercice d’un commandement dans une bande de quartiers (emprisonnement de dix ans à vingt ans et une amende de 1.000.000 DA à 2.000.000 DA) ;encouragement par tout moyen ou financement d’une bande de quartiers ( emprisonnement de deux ans à cinq ans et une amende de 200.000 DA à 500.000 DA) ;incitation d’une personne à rejoindre une bande armée ou à l’empêcher de rompre avec elle (emprisonnement de cinq ans à douze ans et une amende de 500.000 DA à1.200.000 DA) ; participation à une rixe, rébellion ou réunion d’une bande de quartiers au cours de laquelle sont exercées des violences (emprisonnement de deux ans à sept ans et une amende de 200.000 DA à 700.000 DA s’il est porté des coups ou fait des blessures , emprisonnement de cinq ans à quinze ans et une amende de 500.000 DA à 1.500.000 si les coups ou blessures ont entraîné la mort d’un des membres de la bande , la peine de la réclusion criminelle à perpétuité si les violences ont entraîné la mort d’une personne autre que les membres de la bande) ; fabrication ou fourniture d’armes blanches au profit d’une bande de quartiers (emprisonnement de cinq ans à douze ans et une amende de 500.000 DA à1.200.000 DA) ;non dénonciation de délits commis ou tentés par une bande de quartiers (emprisonnement de six mois à deux ans et une amende de 60.000 DA à 200.000 DA).
Toutes ces peines sont portées au double en cas de récidive ou si l’infraction est commise avec certaines circonstances aggravantes telles l’utilisation des technologies de l’information et de la communication ,le port d’arme à feu ou commission de l’infraction par une bande de plus de 12 personnes .En outre l’auteur de l’une des infractions prévues par l’ordonnance ne bénéficie des circonstances atténuantes qu’à concurrence de la moitié du minimum de la peine prévue, et la personne qui incite à la commission de ces infractions est considérée comme complice et sera passible des mêmes peines prévues pour l’auteur. On l’aurait compris les actes commis en bandes de quartiers sont pratiquement assimilés à des actes de terrorisme de par le régime spécifique dont ils relèvent .
Pour un observateur averti il ya lieu de se poser des questions sur la pertinence d’un tel texte dans le contexte actuel , surtout que le code pénal contient suffisamment de dispositions à même de réprimer sévèrement les actes commis en groupes ou en bande à l’instar du délit d’association de malfaiteurs ou d’attroupement armé ou non armé .Il est évident que cette ordonnance repose sur une idée fausse selon laquelle durcir les peines serait dissuasif et efficace, ce qui n’est pas le cas .Désormais le simple fait d'appartenir à une bande de quartier pourra être puni d’une peine de 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 de dinars.
En vérité cette ordonnance , qui sera sans aucun doute adoptée par le parlement et passera comme une lettre à la poste sans aucune discussion sérieuse , pourrait constituer une menace pour les libertés publiques si elle est mal interprétée ou mal appliquée par les organes de poursuites pénales et par les magistrats. On peut considérer que la nouvelle loi institue des « délits préventifs » au sens où le seul fait d’être suspecté de commander ou d’appartenir à une bande de quartiers à quelque titre que ce soit peut être lourdement sanctionné d’une peine qui peut aller de 2 ans à 20 ans d’emprisonnement suivant la nature et les circonstances de la commission de l'infraction . D’ailleurs l’article 1 de l’ordonnance énonce expressément que son objet est « la prévention et la lutte contre les bandes de quartiers ».En outre , et alors que la tentative en matière correctionnelle est exceptionnelle et doit être prévue expressément par un texte de loi , tous les délits prévus par la nouvelle ordonnance sont réprimés en tant que tels même s’il ne s’agit que d’une tentative.
L’ordonnance dispose dans son article 2 qu’elle entend par bande de quartiers « tout groupe, sous quelque dénomination que ce soit, composé de deux personnes ou plus, appartenant à un ou à plusieurs quartiers d’habitation, qui commet un acte ou plus dans le but de créer un climat d’insécurité, à l’intérieur des quartiers ou dans tout autre espace, ou dans le but d’en assurer le contrôle, en usant de violences morales ou physiques, exercées à l’égard des tiers, en mettant en danger leurs vies, leurs libertés ou leur sécurité ou en portant atteinte à leurs biens, avec port utilisation d’armes blanches apparentes ou cachées. ».
Le problème est que cette définition laisse telle quelle la problématique de la signification du concept « bande de quartiers » quant il ne s’agit pas de poursuivre et de condamner des actes de violence commis par un groupe dont les éléments ont été identifiés ,mais de sanctionner l’appartenance à une bande de quartiers n’ayant pas encore commis d’actes répréhensibles. Quand peut-on affirmer qu’un groupe de jeunes ayant l’habitude de se rencontrer au bas d’un immeuble est une bande de quartiers et par voie de conséquence considérer ses membres comme délinquants au sens de l’ordonnance et donc passibles de poursuites pénales quant bien même ils n’ont commis aucune acte de violence ou de dégradation ? C’est à ce niveau qu’il ya un risque d’arbitraire aussi bien policier que judiciaire avec toute la panoplie rattachée aux procédures pénales ( arrestation, garde à vue, fouilles,fichage…)
L’incrimination étant extrêmement floue et imprécise ,il est à craindre que les tribunaux à fortiori dans ce contexte particulier, prononcent des condamnations à tout va , surtout que nos magistrats ne sont pas réputés être très pointilleux avec les qualifications pénales et ont une fâcheuse propension à des interprétations non seulement extensives des lois pénales ,mais souvent ont recours à des interprétations qui n’ont aucun rapport avec les faits objets des poursuites. Ainsi ,le fait de protester en groupe contre la non attribution de logements ,d’organiser un sit-in devant le siège d’une institution ou participer à une manifestation dans un climat tendu à fortiori si celle-ci a été dispersée par la force publique ,peuvent être qualifiés d’actes commis en bandes alors même que ce sont des comportements étrangers à la délinquance. Il y a là donc effectivement un risque majeur que sous couvert de lutte contre les bandes de quartiers ,la nouvelle loi sera utilisée pour réprimer des citoyens ou militants qui veulent agir de concert et ensemble pour faire aboutir des droits ou des revendications légitimes.
Il est regrettable qu’en Algérie plus qu'ailleurs c’est la politique du tout répressif accouplée à des peines de prison d’une sévérité extrême qui est favorisée au détriment de la prévention y compris quand il s’agit d’infractions commis par la frange la plus fragile de la société en l’occurrence les jeunes.Il est incontestable que les bandes de quartiers sont très majoritairement constituées de jeunes de moins de 30 ans et souvent de mineurs. Aussi tenter de résoudre ce genre de délinquance par le recours à la répression n’est pas la solution idoine notamment dans une société qui a connu des traumatismes à répétition d’une ampleur insoupçonnée et qui plus est n’ont jamais fait l’objet d’un traitement approprié. Il aurait été plus judicieux de faire un travail de sensibilisation et de protection par le recours par exemple à des éducateurs qui interviendraient dans les quartiers auprès des jeunes.En outre, tout traitement judiciaire de la délinquance juvénile est improductif si en amont rien n’est fait pour garantir une formation et un avenir seuls à même de promouvoir une saine politique envers les jeunes et par conséquent annihiler ou tout au moins contenir cette délinquance.
Mohamed BRAHIMI
Avocat à la cour de Bouira
brahimimohamed54@gmail.com