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Des propos diffamatoires dirigés contre la mémoire des morts sont-ils passibles de poursuites pénales en l’absence d’un texte exprès ?

mohamed brahimi Par Le 08/01/2015

 

LE DELIT DE DIFFAMATION

Des propos diffamatoires dirigés contre la mémoire des morts

sont-ils  passibles de poursuites pénales  en l’absence d’un texte exprès ?

 

Ces derniers jours une vive polémique a suivi  les déclaration de Mr.Said Sadi l’ex- président du RCD qui , lors d’une réunion publique,a fustigé le parcours de certaines figures historiques décédées en l’occurrence les ex-chefs d’Etat Ahmed Ben Bella et Ali kafi ainsi que l’ancienne figure emblématique du mouvement national Messali Hadj.Suite aux propos tenus à l’encontre de ces personnalités, propos qui ont été considérés comme diffamatoires , le parquet d’Alger a rendu public un communiqué par lequel il a annoncé la mise en mouvement d’une action publique par saisine d’office à l’encontre de l’auteur de ces propos  pour délit de diffamation.

 

 

 

Ce communiqué  qui annonce des poursuites pénales contre Mr Said Sadi et ,incidemment,explique les motifs juridiques de cette auto- saisine précise que ces poursuites ont été décidées «  suite aux informations rapportées par certains médias relatives aux déclarations faites par Mr.Sadi à Sidi Aich au cours desquelles il a imputé à l’ex- chef d’Etat feu Ahmed Ben Bella et à l’ex-Président du HCE feu Ali Kafi ainsi qu’à feu Messali Hadj des faits portant atteinte à leur honneur et à leur considération ». Le communique  explique que l’information judiciaire  a été diligentée par le parquet d’Alger  « compte tenu du fait que ces propos rendent passibles de poursuites pénales pour diffamation et que ce délit est consommé dès lors que ces propos ont été rendus publics par certains médias et que cette publicité donne compétence à tout tribunal dans le ressort duquel l’accès aux faits incriminés est rendu public ». 

Au regard de  la qualité de la personne poursuivie en l’occurrence un ex- chef d’un parti politique très présent  sur la scène politique  et de celles des personnalités mises en cause dont deux ex-chefs d’Etat, la décision du parquet d’Alger d’ouvrir  une information  judiciaire pour fait de diffamation  a été  très largement médiatisée et  commentée.Cette affaire soulève en fait des questions juridiques complexes en rapport avec le délit de diffamation  et ses éléments constitutifs.

Les questions politiques ou historiques mis à part , les poursuites pénales  pour délit de diffamation dont fait l’objet Mr. Sadi , et au regard des faits qui lui sont reprochés, sont-elles justifiées?Pour répondre à cette questions , il y a lieu d’analyser du point de vue juridique les faits et les personnes mises en cause .En un mot vérifier si les éléments constitutifs de l’infraction de diffamation sont constitués dans le cas d’espèce.

Aussi curieux que cela puisse paraître , les faits reprochés à Mr.Said Sadi en l’occurrence la tenue de propos diffamatoires contre des personnalités politiques ne constitue pas le délit de diffamation et n’est en fait puni par aucun texte légal et ce pour la simple raison que les victimes de la diffamation sont décédées.Cela peut paraître d’autant plus curieux que c’est un magistrat rompu aux affaires pénales qui a ordonné les poursuites et qu’aucun homme de loi notamment des avocats ayant donné leur avis sur cette affaire dans la presse écrite ou audiovisuelle n’a conclu non seulement à la nullité des poursuite pour absence de l’élément légal mais aussi à l’incompétence du tribunal d’Alger mais tous et sans exception ont analysé les propos tenus sous l’angle de la controverse historique et politique ou sur le terrain de la liberté d’expression.

On entend par diffamation aux termes de l’article 296 du code pénal   « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération des personnes ou du corps auquel le fait est imputé ». Certains mis en cause dans cette affaire étant  d’anciens chefs d’Etat ,on pourrait penser à l’application de l’article 144 bis du même code qui punit « toute personne qui offense le Président de la République par une expression outrageante,injurieuse ou diffamatoire ».

Evacuons tout de suite le délit d’offense au Président de la République puisque l’article 296 du code pénal ne protège que le     Président de la République en exercice.Les anciens Président de la République, non décédés, ne peuvent se prévaloir du délit d’offense mais tout au plus  peuvent-ils agir en qualité de particulier quand ils font l’objet de diffamation ou d’injure.

Pour qu’il y ait répression du fait de diffamation,plusieurs conditions doivent être réunies.Tout d’abord il faudrait alléguer d’un fait précis et déterminé.Accuser quelqu’un d’avoir écrit une contre-verité ou qualifier quelqu’un d’être un criminel de guerre est une diffamation.Qu’en est-il des propos attribués à Mr.Said Sadi ? Qualifier quelqu’un de traîtrise ( cas de Messali Hadj), d’être un agent des services étrangers( cas de Ben Bella) ou d’être anti kabyle donc raciste ( cas de Ali Kafi) constituent bel et bien une allégation précise et déterminée susceptible d’entraîner une condamnation pénale si les autres éléments de la diffamation sont réunies.

En deuxième lieu , le fait allégué doit porter atteinte à l’honneur et la considération de la personne visée.Il va sans dire aussi que traiter quelqu’un de traître ou d’agent de l’étranger ou d’anti kabyle rentre dans cette définition.

Le troisième élément de la diffamation est la publicité.c’est l’élément de publicité qui fait que la diffamation  acquiert un caractère de diffamation simple ou prend la forme d’un délit de presse.Cette distinction comme nous le verrons est d’une grande importance notamment en matière de compétence et des personnes susceptibles d’être poursuivies. Tout d’abord la publicité existe suivant l’article  296 du code pénal dans  les «  discours,cris et menaces ».Ceux-ci doivent être  tenus ou proférés dans des lieux publics.Les propos tenus par Mr.Said Sadi ayant été tenus dans une réunion publique,l’élément de publicité est donc constitué.

D’autre part l’article 296 parle aussi de «  publication directe ou par voie de reproduction ». La publication ne  se limite pas à l’écrit publié dans un organe de presse écrit mais s’entent de toute publication sur tout support de la parole ou de l’image ou encore tout support électronique,informatique ou informationnel.Si les propos diffamatoires ont été repris par un organe de presse ,la diffamation sera qualifié de délit de presse. Les propos tenus ayant été repris et diffusés par des organes de presse écrits et sur des sites électroniques, il s’agit ici bel et bien d’un délit de presse.

Comme toute infraction pénal le délit de diffamation implique aussi l’existence de l’intention coupable c'est-à-dire l’intention de diffamer.L’auteur du propos diffamatoire doit avoir conscience qu’il porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne visée.En matière de diffamation le doctrine et la jurisprudence tendent en général vers l’existence dans la diffamation  de la mauvaise foi du fait de la nature même du propos.il serait donc difficile pour Mr. Sadi d’alléguer la bonne foi à supposer que le dernier élément de l’infraction est constitué.

Quant au dernier élément constitutif de l’infraction de la diffamation qui pourrait à notre avis justifier dans le cas d’espèce un non lieu ou une relaxe ou cas ou l’information ouverte aboutisse à un  renvoi devant le tribunal correctionnel , c’est celui se rattachant à la personne diffamée.Cette personne doit être vivante à la date où ont été prononcés les propos diffamatoires.Il est vrai que l’article 296 du code pénal parle de « personnes »  sans autre précision ce qui laisse la porte ouverte à une interprétation extensive qui engloberait les personnes décédées .C’est apparemment ce qu’a fait le parquet d’Alger.Mais poursuivre pénalement l’auteur de propos diffamatoires ou outrageants dirigés contre une personne décédée est-il conforme à la loi ?Si en théorie  , rien n’empêche un héritier d’assigner une personne devant le juge civil en réparation  du  préjudice subi du fait de propos diffamatoires dirigés contre le défunt, il en est à notre avis tout autrement en matière pénale.

En droit pénal , il n’y a pas d’infraction ni de peine sans texte de loi.C’est le principe de la légalité  des délits et des peines .Ce principe est conforté par l’article 1er du code pénal.La législation pénale nationale ne contient aucun texte spécifique réprimant l’atteinte à la mémoire des morts et ce contrairement à certaines législations étrangères.Dans le cas d’espèce le parquet d’Alger a certainement visé l’article 296 du code pénal alors que cet article parle de « personnes ». Dans le chapitre  du code civil consacré aux personnes physiques et morales il est dit que «  la personnalité commence  avec la naissance accomplie de l’enfant vivant et finit par la mort » (article 25 du code civil).

En outre dans notre droit la personne décédée n’a plus d’existence juridique. Aussi les actions en justice intentées au profit ou contre une personne décédée sont irrecevables .Les héritiers ont bien dans certains cas une action au nom du défunt mais ici ils doivent exciper d’un intérêt personnel et direct en rapport avec l’objet du litige ce qui n’est pas le cas en matière d’infraction de diffamation.

Quand une personne diffamée est décédée ,ce n’est pas sa personne elle-même qui est atteinte mais sa mémoire c'est-à-dire  que c’est le souvenir qu’elle a laissé dans l’esprit de sa famille ou de ses concitoyens qui est touché par le propos diffamatoire ou injurieux. Aussi l’héritier du défunt ne peut dans ces circonstances exciper d’un préjudice direct.C’est pourquoi nous pensons que dans le cas d’espèce l’infraction de diffamation n’est pas constituée.. En outre, s’agissant de propos en rapport avec  l’histoire  du mouvement national et de la guerre de libération tenus lors d’une réunion présidée par un homme politique c'est-à-dire s’agissant d’un débat politique  ,il est d’usage dans la jurisprudence comparée de durcir les conditions requises pour que l’infraction de diffamation soit recevable.

Il faut aussi remarquer que s’agissant du droit de réponse reconnu à la personne mise en cause dans un écrit ou propos diffamatoire diffusé dans la presse,l’article 111 de la loi organique du 12 janvier 2002 relative à l’information a expressément visé la personne décédée en disposant que « si la personne nommément visée par l’information contestée est décédée la réponse peut être faite en ses lieux et place par son représentant légal ou par son conjoint,ses parents ascendants ou descendants ou collatéraux au premier degré ».Si le vœu du législateur était de réprimer pénalement l’atteinte à la mémoire des morts il aurait prévu une disposition similaire dans le chapitre traitant de la diffamation.

Pour autant ,existe-il un autre recours pour défendre la mémoire des morts hormis les poursuites pénales ? l’idéal serait que le législateur intervienne en insérant dans le code pénal une disposition expresse réprimant la diffamation ou l’injure envers la mémoire les morts.Il est d’ailleurs incompréhensible que ce même législateur ait introduit dans le code pénal en 2006 toute une section consacrée aux infractions relatives aux sépultures et au respect dû aux morts ( article 150 à 154 ) et a omis de prévoir une disposition réprimant la diffamation envers les morts.En droit comparé,une telle disposition existe.Par exemple l’article 34 la loi française du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pose le principe de la répression de la diffamation dirigée contre la mémoire des morts mais sous la condition que les héritiers auteurs de la plainte pour diffamation ont été eux-mêmes touchés par les propos ou écrits diffamatoires dirigés contre le defunt.Il en est de même dans le droit tunisien.

A défaut d’une action pénale, la protection de la mémoire d’un défunt de toute diffamation ou de tout autre atteinte à son honneur ou a à sa considération peut toujours être assurée en saisissant le juge civil par une action en réparation.Cette action civile est largement ouverte car il suffit de prouver la réalité du propos diffamatoires dirigés conte le défunt. En outre l’héritier du défunt calomnié ou outragé peut toujours utiliser le droit de réponse si ces propos ont pris la forme d’un délit de presse.

Reste à clarifier la question de la compétence. Conformément à l’article 329 du code de procédure pénale le tribunal compétent est le tribunal du lieu de l’infraction ou celui du lieu de la résidence du prévenu .Les propos imputés à Mr.Sadi ayant été prononcés  dans une réunion publique tenue à Sidi Aich c’est en principe au tribunal de cette ville  qu’il revenait d’engager les poursuites.Le parquet d’Alger a justifié  sa saisine par le fait que ces propos ont été publiés dans la presse et qu’il s’agit donc d’un délit de presse.Effectivement en matière de diffamation,injure ou d’outrage par voie de presse,la règle est que la poursuite peut être porté devant tout tribunal dans le ressort duquel  l’écrit relatant les propos diffamatoire a été publié ou distribué.Les organes d’information notamment les journaux ayant rapporté et publié ces propos ayant une diffusion nationale,il est exact que le parquet du tribunal d’Alger comme d’ailleurs les parquets de tous les tribunaux du pays  sont compétents pour engager des poursuites pénales.

Le problème dans le cas d’espèce est qu’en matière de délit de presse notamment le délit de diffamation ,l’auteur principal du délit n’est pas tant le Dr.Sadi mais c’est le responsable de l’organe de presse qui a diffusé ses propos .Said Sadi s’est contenté de tenir ses propos dans une réunion publique et ne les a ni publié dans un organe de presse ni incité à leur publication.Les propos diffusés ne l’ont été sûrement que sur initiative personnelle des journalistes et des responsables de  l’organe de presse sans intervention de l’auteur des propos.A l’égard de Said Sadi , même à supposer que l’infraction d’outrage est consommé,il n’a pas commis un délit de presse mais une simple diffamation publique ce qui implique nécessairement l’incompétence du tribunal d’Alger.Pour qu’il en soit autrement il aurait fallu poursuivre en même temps et l’auteur des propos incriminés et le responsable de l’organe de presse qui a diffusé ces propos. Said Sadi ayant été poursuivi seul , il est indéniable que c’est le tribunal de Sidi Aich et incidemment le tribunal de sa résidence  qui sont compétents pour poursuive et juger l’auteur des propos litigieux et non pas le tribunal d’Alger.

Maitre M.BRAHIMI

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