Globalement les Accords d’Evian ont toujours été fustigés non seulement en Algérie mais aussi de l’autre côté de la méditerranée. Cette animosité était motivée par le fait que ces Accords auraient une connotation colonialiste et faisaient la part belles aux français d’Algérie au détriment des algériens comme ils porteraient atteinte à la souveraineté nationale.Une lecture juridique et approfondie dépourvue de tout priori idéologique de ces Accords devraient incontestablement susciter un point de vue inédit.
Les Accords d’Evian signés au nom de l’Algérie souveraine constituaient si on peut dire le baptême de feu de l’Algérie indépendante, puisqu’ ils constituaient le premier acte juridique, en l’occurrence une convention internationale, signé par l’Etat algérien avec une puissance étrangère.
En tant qu’Etat souverain,le premier texte qui avait valeur de loi et qui s’imposait à l’Algérie ont été donc les Accords d’Evian signés le 18 mars 1962.Le chapitre 2 de ces Accords stipulait dans son introduction que si la solution d’indépendance et de coopération est adoptée, le contenu de ces Accords s’imposera à l’Etat algérien.Le référendum dont les résultats favorables à l’indépendance ayant été proclamés le 01 juillet 1962 ,et le général De Gaulle au nom de la France ayant donné acte des résultats de ce scrutin par la lettre du 03 juillet 1962 rendue publique à 10H30 ,l’Algérie est devenu donc à partir de cette date un Etat indépendant et souverain.
De son coté , Abderrahmane Farès au nom de l’Exécutif provisoire algérien a par lettre datée du même jour accusé réception du message du général De Gaulle ,et a reçu le jour même transfert des compétences afférentes à la souveraineté sur le territoire algérien et ce conformément aux Accords d’Evian. Tous ces instruments juridiques ont été publiés dans le premier numéro du journal officiel de la République Algérienne et portant la date du 06 juillet 1962 ,ce qui les rend exécutoires.
La naissance légale et juridique de l’Etat algérien remonte donc à cette date du 03 juillet 1962 où les compétences afférentes à la souveraineté sur le territoire des anciens départements français d’Algérie, ont été transférées à l’Exécutif Provisoire de l’Etat algérien ,suite à la lettre du président de la république française,le général De Gaulle.
Les Accords d’Evian ont été adoptés côté algérien par le Conseil National de la Révolution algérienne(CNRA) l’organe suprême de la révolution algérienne composé de 71 membres , à l’unanimité moins quatre voix .Ces quatre voix discordantes étaient celles des chefs de l’Etat-major général dont feu Houari Boumédiène,
Si les Accords d’Evian ont été l’objet d’études et de commentaires divers plus ou moins critiques ,il n’en reste pas moins qu’hormis la question des européens qui reçurent des garanties exorbitantes , ces Accords restent paradoxalement d’essence démocratique.
S’ils avaient été appliqués dans la lettre et l’esprit, l’Algérie aurait nécessairement choisi en 1962 d’être un pays démocratique, basé sur le pluralisme politique et syndical.
Dans le chapitre 2 des accords d’Evian , un paragraphe stipule expressément que la liberté d’association et la liberté syndicale sont garanties.Ce paragraphe d’apparence anodine énonce en vérité un principe d’essence constitutionnel puisqu’il consacre le principe de la libre création d’associations et de syndicats.Les partis politiques étant en droit des associations à part entière,le principe instaure donc le multipartisme fondateur de l’Etat démocratique
Il est remarquable de signaler aussi qu’en application de ces accords, l’Algérie indépendante a vécu 2 mois sous le régime de la démocratie et du multipartisme , du 03 juillet 1962 au 01 septembre 1962.Une fois les Accords d’Evian signés et le transfert des compétences de souveraineté entre la France et l’Algérie accompli, feu Abderrahmane Farès ,au nom de l’Exécutif Provisoire, décida de l’organisation d’élections pour la désignation de l’Assemblée Nationale conformément aux dispositions de ces mêmes Accords.Les modalités de l’élection prévoyaient et autorisaient expressément les partis politiques et les groupements à présenter les listes de candidatures.
Ainsi l’ordonnance N° 62-10 du 16 juillet 1962 fixant les modalités de l’élection des membres de l’Assemblée Nationale qui serait constituante conformément à l’ordonnance N°62-11 du 17 juillet 1962, a d’une part fixé la date de l’élection au 12 août 1962 , et d’autre part autorisé les partis politiques et les groupements à présenter la listes de leurs candidats.Les textes réglementaires d’application de l’ordonnance N°62-10 tel que le décret N° 62-501 du 17 juillet 1962 relatif à l’organisation de l’élection des membres de l’Assemblée Nationale, ou le décret N° 62-508 du 16 août 1962 relatif à l’exercice du droit de réunion, faisaient eux aussi expressément référence aux partis politiques et aux groupements.
Pour l’exécutif provisoire , auteur de ces textes de loi qui reconnaissent l’existence des partis politiques,il ne faisait aucun doute que l’Algérie devait être pluraliste et démocratique , et il n’était nullement question d’instaurer un régime de parti unique fut-il au bénéfice du FLN.Cette orientation conforme aux Accords d’Evian et à l’avis du CNRA qui les a approuvé a été auparavant confortée par l’amnistie de toutes les infractions commises avant le 03 juillet 1962 décidé par une ordonnance en date du 10 juillet 1962.
Les évènements dramatiques qui ont suivi la proclamation de l’indépendance et les luttes fratricides générées par les appétits de pouvoir qui s’en suivirent ont eu raison des Accords d’Evian qui ne seront que partiellement appliqués en en expurgeant le volet démocratique.